PAR LE Pr SAMIR JABER*
DURANT LA phase précoce, d'une semaine environ, l'agression pulmonaire directe (SDRA primaire) ou indirecte (SDRA secondaire) détruit la membrane alvéolo-capillaire et induit un oedème pulmonaire lésionnel. Dans un second temps, une fibroprolifération apparaît. Enfin, le poumon perd une partie de ses propriétés élastiques du fait du comblement alvéolaire.
Une des caractéristiques du SDRA est l'hétérogénéité des lésions, décrite comme des « couches » qui s'empilent de haut en bas, des zones normales aux zones comblées. Cela rend particulièrement difficiles les réglages de la ventilation mécanique. La surdistension des zones saines est en effet à éviter, l'étirement des parois alvéolaires étant à l'origine de lésions pulmonaires. Parmi les lésions iatrogènes induites par la ventilation mécanique, ou VILI (Ventilator Induced Lung Injury), le barotraumatisme est la conséquence de pressions d'insufflation trop élevées, le volotraumatisme celui de volumes insufflés trop importants.
La ventilation actuelle du SDRA, dite protectrice, vise à limiter les volumes et les pressions d'insufflation. Inversement, la diminution trop importante de la pression de plateau est à l'origine d'un dérecrutement et d'un risque accru d'atélectasie ou « atélectrauma », d'où la nécessité d'associer une pression expiratoire positive (PEP) pour maintenir le poumon ouvert (« keep the lung open »).
Réduire le volume courant, surveiller la pression de plateau.
La réduction du volume courant est un impératif qui permet de réduire la réaction inflammatoire alvéolaire et systémique (1). L'utilisation d'un volume courant > 10 ml/kg de poids idéal théorique est responsable d'une surmortalité importante. Entre 6 et 10 ml/kg, le choix doit être adapté à l'atteinte pulmonaire et à la pression de plateau. La réduction du volume courant est responsable d'une hypercapnie qui ne peut être tolérée qu'après optimisation de la ventilation, en particulier après réglage optimal de la fréquence respiratoire et réduction de l'espace mort instrumental.
La diminution de la compliance lors du SDRA entraîne une augmentation des pressions intrathoraciques visualisées par une augmentation des pressions moyenne et de plateau. La pression de plateau est le reflet de la pression alvéolaire, traduisant le risque barotraumatique quand elle est supérieure à 35 cmH2O pour la plupart des patients. En revanche, l'augmentation brutale de la pression de crête ou de la pression moyenne peuvent refléter une obstruction des voies aériennes, mais aussi un problème pulmonaire comme un pneumothorax. Pour diminuer le risque de lésions induites par la ventilation mécanique, la pression de plateau doit être strictement inférieure à 32 cmH2O.
Les débats sur le choix du bon niveau de PEP sont presque aussi anciens que le SDRA lui-même. Il a été proposé d'utiliser des PEP élevées chez les patients ayant une atteinte pulmonaire diffuse, mais des niveaux plus faibles lorsque la perte d'aération est principalement localisée au niveau des zones postérieures et basales, de larges plages de parenchyme pulmonaire sain étant par ailleurs conservées. S'appuyant sur des données récentes issues des études physiologiques et scannographiques de l'équipe française de J. J. Rouby (2), plusieurs auteurs recommandent des niveaux de PEP plutôt élevés, de 12 à 20 cmH20, à la phase initiale des SDRA de type diffus ou mixtes, et des niveaux plutôt bas, inférieurs à 6-8 cmH20 pour les SDRA lobaires.
Tolérer un certain niveau d'hypercapnie « permissive ».
Les niveaux de PEP utilisés en clinique permettent de s'opposer au dérecrutement plus que « d'ouvrir » le poumon collabé. Ainsi, certains auteurs préconisent depuis l'utilisation de manoeuvres de recrutement alvéolaire (ou soupirs). Trop d'incertitude persiste toutefois, et des études contrôlées devront prouver l'intérêt de ces manoeuvres.
L'hétérogénéité des rapports ventilation/perfusion est la cause principale de l'hypoxémie. L'administration d'une pression positive continue par l'intermédiaire de la ventilation mécanique va permettre « d'ouvrir » le poumon. Il faut toutefois veiller à limiter les pressions alvéolaires pour diminuer le risque de lésions iatrogènes induites par la ventilation.
La normalisation des valeurs des gaz du sang quelles que soient les pressions insufflées ne doit plus être la règle. Pour limiter les pressions pulmonaires et éviter la surdistension des zones saines, le clinicien est souvent conduit à tolérer une hypercapnie dite « permissive ». La limite recommandée est une acidose hypercapnique avec un pH > 7,20 (3). La réduction de l'espace mort instrumental par l'ablation des raccords annelés et le remplacement des échangeurs de chaleur et d'humidité (filtre avec grand espace mort) par des humidificateurs chauffants sont recommandés. Le décubitus ventral améliore l'oxygénation en améliorant les rapports ventilation/perfusion chez deux tiers des patients, mais les trois études randomisées publiées n'ont pas montré de diminution significative de la mortalité. D'autres études avec des durées de décubitus ventral plus prolongées (18-24 heures) sont en cours.
Sur le plan médicamenteux, aucune thérapeutique pharmacologique n'a fait la preuve de son efficacité. Des pistes, comme l'immunomodulation ou l'emploi d'antiélastase, sont en cours d'évaluation.
* CHU Saint-Eloi, Montpellier.
(1) National Heart, Lung, and Blood Institute Acute Respiratory Distress Syndrome (ARDS) Clinical Trials Network, Wheeler AP et coll. Pulmonary-artery versus central venous catheter to guide treatment of acute lung injury. N Engl J Med 2006;354(21):
2213-24.
(2) Rouby JJ et coll. Mechanical ventilation in patients with acute respiratory distress syndrome. Anesthesiology 2004;101(1):228-34.
(3) Richard JC et coll. Prise en charge ventilatoire du syndrome de détresse respiratoire aiguë de l'adulte et de l'enfant (nouveau-né exclu). Recommandations d'experts de la Société de réanimation de langue française, 2005.
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