PAR LE Pr DOMINIQUE LARREY*
L'ATTRACTION POUR les herbes médicinales et les vitamines est favorisée par de nombreux facteurs. Ces produits sont souvent considérés comme totalement inoffensifs et donc, largement utilisés en automédication. Leur consommation s'inscrit dans un contexte de « retour à des produits naturels », en parallèle avec les mouvements écologiques des pays industrialisés.
Plusieurs études récentes menées en Europe et aux Etats-Unis montrent que les dépenses de santé en produits médicinaux complémentaires et en phytothérapie ont très fortement augmentées. Aux Etats-Unis, ils représentent un marché évalué à plus de 5 milliards de dollars. En France, une enquête récente a révélé qu'environ un tiers des patients ayant consulté au CHU de Montpellier pour hépatite virale B ou C prenaient en parallèle des plantes médicinales. Il est donc évident que plus leur consommation augmente, plus grand est le risque hépatique, d'autant qu'il est méconnu ou difficile à identifier. En effet, le diagnostic d'hépatotoxicité par produit de phytothérapie est particulièrement difficile. Ces difficultés accrues sont liées à l'automédication elle-même, à la réputation d'innocuité et au fait que la plante responsable peut être très difficile à identifier. En outre, certaines préparations de phytothérapie, notamment celles venues d'Asie, sont composées de très nombreuses plantes, de telle sorte qu'il peut être très difficile, voire impossible, d'identifier celle qui est potentiellement toxique. D'autres difficultés peuvent s'ajouter : une confusion entre deux plantes, l'utilisation d'une mauvaise partie de la plante (par exemple, la racine au lieu des feuilles), le conditionnement et le stockage inappropriés, la contamination de la plante par des produits chimiques toxiques, des pesticides ou des micro-organismes toxiques, comme cela a été illustré par de nombreux exemples. Enfin, une dernière difficulté d'identification est le mauvais étiquetage.
Certains produits de phytothérapie.
Actuellement, plus d'une trentaine de produits de phytothérapie sont répertoriés comme potentiellement hépatotoxiques. Certains exemples méritent d'être soulignés. Nous avons connu en France une épidémie d'hépatite liée à l'utilisation de la germandrée petit chêne (Teucrium chamaedrys) dans le but de favoriser l'amaigrissement. Plusieurs dizaines de cas d'hépatite aiguë et quelques rares cas d'hépatite fulminante ou de cirrhose ont été répertoriés. Le produit a été retiré du marché français, mais il est encore en vente dans d'autres pays. Plus récemment, il y a eu une épidémie d'hépatite liée à l'utilisation d'une plante anxiolytique originaire du Pacifique, le kava-kava (Piper methysticum). De nombreux cas ont été observés en Allemagne, en Belgique et en France. Des atteintes mortelles ou conduisant à une transplantation ont été décrites. Un extrait hydro-alcoolique de thé vert (Exolise) a été récemment incriminé par la pharmacovigilance française. Ce produit a également été retiré du marché. Enfin, récemment, quelques cas d'hépatite ont été enregistrés après la consommation de jus de noni, un produit « réconfortant ». Des plantes d'origine asiatique, utilisées en particulier en médecine chinoise, ont également été souvent mises en cause.
Les compléments vitaminiques.
Il est habituel de considérer que les vitamines améliorent la santé. Toutefois, la consommation excessive de vitamine A peut être dangereuse et entraîner une intoxication. L'intoxication chronique peut engendrer une maladie chronique du foie, avec de la fibrose, une hypertension portale, voire une cirrhose. Il est donc important d'informer les patients que la consommation régulière de vitamine A doit être surveillée médicalement pour s'assurer qu'il n'y a pas de prise de doses excessives.
Les médicaments traditionnels en vente libre.
Certains médicaments en vente libre, notamment des antalgiques, peuvent être hépatotoxiques. C'est le cas du paracétamol. Il est bien connu que la prise à doses excessives (en particulier pour des doses > 10 g/24 heures), essentiellement dans un dessein suicidaire, fait courir un risque important d'hépatite, souvent grave, pouvant conduire au décès ou nécessiter une transplantation. Des travaux récents montrent l'existence d'atteinte hépatique pour des doses plus faibles, entre 2 et 9 g/j, prises dans un contexte thérapeutique. Dans ce cas, divers facteurs favorisant ont été identifiés.
L'alcoolisme chronique et la dénutrition augmentent la production de métabolites toxiques du paracétamol et/ou réduisent les défenses vis-à-vis de ceux-ci par déplétion en glutathion. Certains médicaments de type inducteur enzymatique (barbituriques) et des antituberculeux, comme l'isoniazide et le pyrazinamide, semblent aussi majorer le risque. Un autre facteur est la prise journalière du médicament en une seule fois. Il est important de respecter le fractionnement des doses toutes les 6 heures. En cas d'hépatite virale aiguë, il est recommandé de limiter les doses et la durée du traitement pour éviter toute aggravation.
Les produits en vente sur Internet.
Les ventes sur Internet augmentent très rapidement. Une enquête récente a identifié plusieurs sites en ligne, proposant des produits dits « médicinaux », associés à une information très limitée, voire totalement erronée. Plusieurs cas d'atteinte hépatique ont été rapportés dans ces circonstances.
En conclusion, si la possibilité de se procurer certains produits sans ordonnance offre des avantages pour le consommateur, cela ne doit pas faire ignorer les règles de bonne utilisation. En cas d'atteinte hépatique de cause apparemment inconnue, il est important de rechercher une automédication et de déterminer le degré d'innocuité des produits absorbés. Il faut enfin insister sur les recommandations de prudence pour les achats de produits de santé sur Internet.
* Service d'hépato-gastro-entérologie et transplantation, hôpital Saint-Eloi, CHU de Montpellier.
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