CLOSTRIDIUM DIFFICILE est le pathogène nosocomial le plus répandu au niveau du tractus intestinal et, comme l'a rappelé le Pr C. M. Surawicz (Seattle, Etats-Unis), de nombreuses épidémies ont été décrites dans des hôpitaux, dans des maisons de retraite et dans des centres de rééducation. Il semble que la fréquence de ces épidémies soit en augmentation, survenant souvent après une antibiothérapie à large spectre, une suspicion particulière portant sur les nouvelles fluoroquinolones que certains rendent responsables d'une nouvelle souche NAP1/B1 qui se caractérise par une virulence particulière avec production binaire de toxines et production accrue des toxines A et B.
Ce phénomène a été particulièrement bien étudié aux Etats-Unis. Le Pr S. Johnson (Chicago) a présenté des données recueillies dans plusieurs hôpitaux américains et du Québec : par exemple, dans un hôpital universitaire de Pittsburgh, le nombre de colectomies dues à une maladie associée à C.difficile (Cdad) s'est élevé à 17 en 2000 contre une moyenne de 2,4 par an lors des dix années précédentes. Des données comparables ont été enregistrées dans plusieurs hôpitaux du Québec et de Montréal, avec des chiffres particulièrement alarmants dans les hôpitaux du Québec : l'incidence des Cdad est passée entre 1991 et 2003 de 36 à 156 cas pour 100 000 patients et la mortalité à 30 jours a été triplée pendant le même laps de temps, passant de 4,7 à 13,8. Des études réalisées en particulier par le CDC d'Atlanta ont montré que la plupart de ces épidémies étaient dues à une souche peu fréquente aux Etats-Unis et non associée à des épidémies avant 2000, la souche NAP1/B1/027 qui, on l'a dit, se caractérise par des polymorphismes du gène de régulation de production de toxines avec à la fois une réduction précoce des deux toxines A et B et la présence d'une toxine additionnelle, toxine binaire, cette dernière rapprochant la souche de Clostridium perfringens.
Le Pr Johnson souligne que cette souche se caractérise également par une résistance aux nouvelles fluoroquinolones ; ce qui laisse penser que ces dernières pourraient être en cause dans la prolifération et la dissémination de cette nouvelle souche, même si l'on n'a pas mesuré l'impact d'une restriction du recours à ces nouvelles quinolones ou à l'ensemble des quinolones.
L'Europe n'est pas épargnée.
Curieusement, comme l'a souligné le Pr Michel Delmée (Bruxelles), le même phénomène a été observé en Europe dès les premiers mois de 2004, en particulier au Royaume-Uni, où le ribotype 027 a été isolé à l'occasion d'une épidémie ayant touché 150 patients avec 2 décès. Depuis, des épidémies semblables ont été répertoriées aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et dans le nord de la France. Des cas plus sporadiques ont été observés en Irlande et en Autriche, en Pologne, en Ecosse et au Danemark. Cela a conduit les autorités à mettre sur plan un programme de surveillance des pathologies à C.difficile et, en particulier, de la souche O27 avec, notamment, des procédures de mise en culture. A noter que l'on semble observer une certaine stabilisation, en 2006, des cas épidémiques et sporadiques, ce qui n'a pas empêché les responsables européens de conduire en 2007 une deuxième enquête dans 23 pays : on devrait ainsi avoir une idée plus précise de l'évolution de l'épidémie.
Du traitement aigu à la prévention des récidives.
Le traitement des maladies associées à C.difficile est parfois difficile et assez mal codifiée, reconnaît le Pr C. M. Surawicz, d'autant que, dans bien des cas, ce traitement est commencé dans l'urgence sur des bases empiriques. Les antibiotiques les plus communément utilisés sont le métronidazole et la vancomycine, avec des doses qui sont généralement de 250 mg 3 fois/jour pour le premier et de 125 mg 4 fois/jour pour la seconde. Même si la plupart des études suggèrent que les deux traitements sont équivalents, divers travaux évoquent une diminution d'efficacité du métronidazole, celui-ci restant pourtant le traitement de première intention, ne serait-ce que pour limiter le développement des résistances à la vancomycine.
Si, en général, la diarrhée s'améliore en un à quatre jours avec une normalisation au bout de deux semaines, il existe des formes fulminantes réfractaires qui font mettre en oeuvre des options thérapeutiques diverses, ces thérapeutiques offrant des niveaux de preuves plus ou moins faibles, qu'il s'agisse des antibiothérapies par voie parentérale ou entérale ou encore de la chirurgie, même s'il est incontestable que celle-ci peut sauver la vie de certains patients. Le plus important est d'être relativement agressif dans la démarche diagnostique et thérapeutique.
Comment prévenir les récidives ?
A côté des formes d'emblée sévères et/ou réfractaires, la récidive des Cdad pose des problèmes aussi fréquents que difficiles. Le taux de récidives semblant augmenter avec le temps : selon des statistiques québécoises, on est passé de 15 % entre 1991 et 1992 à 47 % en 2003-2004, une fréquence de 20 % étant le plus souvent rapporté. On ne connaît pas vraiment la cause de ces récidives, mais l'on sait que ces dernières surviennent plus volontiers chez les sujets âgés, chez les patients sous antibiotiques et/ou présentant une maladie rénale sans oublier l'antécédent de récidives qui multiplie par 2 ou 3 le risque de récidives ultérieures. Ces récidives surviennent le plus souvent de 5 à 8 jours après l'arrêt des antibiotiques, conduisant généralement à administrer de fortes doses de vancomycine selon des protocoles variés.
A côté de l'antibiothérapie, le traitement ayant une efficacité la mieux documentée est l'administration de Saccharomyces boulardii (Ultra-Levure) à la dose de 1 g/jour, traitement poursuivi pendant au moins deux semaines après l'arrêt des antibiotiques. Cette levure a en effet montré sur des modèles animaux, mais aussi dans le cadre d'essais ouverts, contrôlés et de métaanalyses, une réduction significative du taux de récidives chez les patients prenant Ultra-Levure, réduction allant de 50 à 90 % selon les études.
Le Pr Surawicz reconnaît que l'on n'explique pas encore totalement le mécanisme d'action de S.boulardii même si plusieurs facteurs sont impliqués : compétition au niveau des sites d'attachement des pathogènes, augmentation des IgA sécrétoires et de l'antitoxine A… Il reste que cet effet protecteur de Saccharomyces boulardii ne semble pas pouvoir être étendu aux autres probiotiques, des essais effectués en particulier avec Lactobacillus GG s'étant révélés négatifs.
Ainsi, pour le Pr Surawicz, S.boulardii a acquis une place importante dans la prévention des récidives, d'autres thérapeutiques étant en cours d'évaluation et/ou s'adressant à des formes plus sévères : utilisation de la rifaximine, de résine, des différents types d'immunothérapie, sans oublier dans des formes très sévères, des lavements constitués de préparations effectuées à partir de fèces de donneurs ... Même si cette idée paraît un peu saugrenue et scatologique, plusieurs résultats rapportés par diverses équipes suggèrent des résultats encourageants. Why not ?
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