Une décennie de progrès en oncologie

Le cancer se transforme en maladie chronique

Publié le 27/06/2007
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La meilleure connaissance de l'histoire naturelle des cancers combinée aux progrès technologiques accomplis ces dernières années sont en train de changer profondément les approches préventives, diagnostiques et thérapeutiques des cancers. Dans tous les domaines, chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie, la tendance générale est une prise en charge plus spécifique et ciblée de la tumeur.

La chirurgie est aujourd'hui moins mutilante, plus conservatrice, notamment grâce à l'utilisation de sondes de radiofréquence ou à l'introduction de techniques comme la laparoscopie ou la coeliochirurgie : «On commence même à parler en cancérologie de chirurgie ambulatoire», souligne le Pr Jacques Robert, de l'institut Bergonié (centre de lutte contre le cancer de Bordeaux et du Sud-Ouest). En radiothérapie, les approches sont également plus focalisées avec des irradiations plus précises et respectueuses des tissus environnants. De nouvelles techniques sont appliquées, comme la radiothérapie conformationnelle avec modulation d'intensité, la tomothérapie, la protonthérapie ou encore la radiothérapie stéréotaxique – d'abord utilisée pour irradier les tumeurs cérébrales, elle a été étendue au traitement des tumeurs extracrâniennes et bénéficie de l'apport de nouveaux appareils tels les Cyber Knife.

Changement conceptuel radical

Cependant, le changement conceptuel radical concerne sans conteste la chimiothérapie avec l'arrivée des thérapies ciblées. Après l'introduction, dans les années 1970, de la notion de chimiothérapie adjuvante fondée sur des traitements cytotoxiques (anthracyclines, puis taxanes) – ils détruisent les cellules cancéreuses, mais aussi les cellules saines – et des protocoles appliqués à tout le monde en fonction de la localisation anatomique, les nouveaux médicaments mis sur le marché depuis six ou sept ans ouvrent la voie des traitements sur mesure visant de manière spécifique les mécanismes clés de la cancérogenèse.

Les anticorps monoclonaux recombinants ont permis cette évolution. A propos de l'Herceptine (trastuzumab) dirigée contre le récepteur Erb2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2) surexprimé dans 20 % des cancers du sein, on a pu parler de « révolution ».

«Certaines patientes ne rechuteront jamais et ne feront jamais de métastases», souligne le Pr Robert. Dans le cancer du côlon, «l'espoir est celui d'une guérison» avec l'arrivée, aux côtés de l'oxaliplatine et de l'irinotécan, du bévacizumab (Avastin), un antiangiogénique (anti-Vegf) et du cétuximab (Erbitux), un anti-Egfr que complète «la chirurgie antimétastatique du foie». Les progrès sont encore plus spectaculaires dans le traitement du cancer du rein, même s'il est moins fréquent que les deux premiers. Les antiangiogéniques tels que le sunitinib (Sutent) et le sorafenib (Nexavar) sont en train «de transformer un cancer chimiorésistant en un cancer chimiosensible». Les inhibiteurs de thyrosine-kinase du récepteur du facteur de croissance épidermique (Egfr-TK ou HER1), comme Iressa (gefitinib) et Tarceva (Erlotinib) constituent un des champs d'investigation prometteurs, notamment dans le traitement des cancers du poumon non à petites cellules. En hématologie, la mise à disposition de petites molécules comme Glivec dans le traitement des leucémies myéloïdes chroniques ou de Velcade (bortézomib) dans le myélome multiple a constituté une étape décisive.

Les progrès sont tels et les molécules en cours de développement si nombreuses que certains cancers, «de maladies aiguës rapidement mortelles, sont transformées en maladies chroniques», souligne le Pr Robert. Selon les dernières estimations, plus d'un patient sur deux survit à un cancer dans les cinq ans qui suivent le diagnostic : 84 % pour le cancer du sein, 56 % pour la cancer colo-rectal, mais 14 % pour la cancer du poumon.

D'autres évolutions restent nécessaires

Cependant, d'autres évolutions restent nécessaires : «Il sera essentiel d'arriver à prédire la réponse au traitement et de sélectionner les patients les plus susceptibles de bénéficier des traitements», indique le Pr Robert. Les progrès en imagerie peuvent y aider. Ils ont non seulement un impact sur les modalités de dépistage et de diagnostic, mais ils permettent de guider la thérapeutique : poursuivre un traitement actif ou détecter de façon précoce un traitement qui ne l'est pas. La recherche de facteurs prédictifs sera essentielle. C'est déjà le cas dans le cancer du sein, où la sélection des patientes HER2 positives (amplification du gène) est un préalable au traitement : «L'exemple type est celui du cancer du poumon. Seulement 10% d'entre eux répondent aux inhibiteurs de tyrosine-kinase, ceux qui ont la mutation du récepteur de croissance épidermique. Plus les molécules sont ciblées, plus il va falloir mettre au point des tests moléculaires pour rechercher l'anomalie qu'il s'agit de corriger», poursuit le spécialiste.

Des traitements pour tous

Enfin, tous ces traitements devront être mis à la disposition de tous les patients afin de leur offrir les meilleurs chances sur tout le territoire. C'est un des points importants du plan Cancer qui met l'accent sur le travail en réseau, l'information, la formation et l'approche multidisciplinaire en plus de la prévention, de l'aspect psychosocial (consultation d'annonce, réadaptation du patient après la maladie : assurance, logement) et de la recherche. A propos de prévention, le Pr Robert regrette que l'on n'ait pas réagi assez tôt pour diminuer le tabagisme chez les jeunes filles : «Dans les années 2010-2015, on s'attend à une augmentation des cancers du poumon chez les jeunes filles qui ont fumé à 16-18ans. L'épidémie est datée et connue, mais on ne peut plus revenir en arrière.» n

Moisson en cancérologie

Mabthera (rituximab)

Prix Galien 1999, le rituximab (Mabthera) des Laboratoires Roche a ouvert l'ère des anticorps monoclonaux dans le traitement du cancer. Anticorps chimérique murin humanisé dirigé contre un antigène présent à la surface des lymphocytes B (CD20), il comprend, d'une part, les régions constantes de l'immunoglobuline humaine (IgG1), et d'autre part, les régions variables des chaînes légères et lourdes d'origine murine. Produit du génie génétique, il est actif contre les cellules malignes présentant l'antigène CD20, dans les lymphomes folliculaires de stade III-IV et dans les lymphomes non hodgkiniens agressifs diffus à grandes cellules B, CD20 positif.

Eloxatine (oxaliplatine)

Prix Galien 2004, l'oxaliplatine (Eloxatine) du groupe sanofi-aventis. Ce dérivé du platine isolé pour la première fois en 1976 a d'abord été jugé sans originalité notable avant que sa spécificité et son intérêt clinique ne soient reconnus. Il fait partie du traitement de référence des cancers colo-rectaux. Il possède une indication, en association avec le 5-fluoro-uracile et l'acide folinique, dans le traitement adjuvant du cancer du côlon au stade III après résection complète de la tumeur initiale et dans le traitement des cancers colo-rectaux métastatiques.

Avastin (bévacizumab)

Prix Galien 2006, le bévacizumab (Avastin) des Laboratoires Roche est un anticorps monoclonal IgG1, recombinant, humanisé à 93 %. C'est le premier médicament antiangiogénique à avoir démontré une efficacité antitumorale chez l'homme. Une surexpression du Vegf et de ses récepteurs est observée dans la plupart des cancers. En se liant au Vegf (Vascular Endothelial Growth Factor), Avastin inhibe les récepteurs Flt-1 (Vegfr-1) et KDR (Vegfr-2) situés à la surface des cellules endothéliales, ce qui entraîne une réduction de la néovascularisation, inhibe la croissance tumorale et limite la dissémination métastatique. Il est indiqué dans le traitement de première ligne chez des patients atteints d'un cancer colo-rectal métastatique, en association avec le 5-fluoro-uracile et l'acide folinique avec ou sans irinotécan.

Erbitux (cétuximab)

Prix Galien 2007, le cétuximab (Erbitux) des Laboratoires Merck est un anticorps monoclonal chimérique de classe IgG1 dirigé contre le récepteur du facteur de croissance épidermique (Egfr). Il se lie spécifiquement avec le récepteur de l'Egfr (HER1 ou c-ErbB-1) présent à la fois sur les cellules normales et tumorales et inhibe la liaison du facteur de croissance EGF et du TGF-alpha. Le blocage du récepteur entraîne la non-activation des kinases associées au récepteur, une inhibition de la croissance cellulaire, une induction de l'apoptose. Erbitux, en association à l'irinotécan, est indiqué dans le traitement des patients présentant un cancer colo-rectal métastatique exprimant le récepteur du facteur de croissance épidermique (Egfr) après échec d'une chimiothérapie à base d'irinotécan (antitopo-isomérase). Il a aussi une AMM dans les carcinomes ORL évolués (cf. page 15).

L'originalité de la recherche Ipsen

Le prix Galien 2004, qui récompensait l'originalité des stratégies de recherche, a été remis au groupe Ipsen. Le groupe a été présenté par le Pr Jean Costentin, membre du jury, comme «un David de l'industrie pharmaceutique venu évoluer dans des champs de l'innovation de plus en plus réservés aux Goliath de l'industrie».

L'entreprise, dont le capital demeure largement familial, s'est spécialisée dans trois types de pathologies : cancers, maladies endocriniennes et maladies neuromusculaires, où elle a su «capitaliser les savoirs les plus sophistiqués» pour répondre aux fortes attentes thérapeutiques dans ces domaines (Jacques-Pierre Moreau, Ipsen).

Equipés d'outils performants de la recherche industrielle (chimie combinatoire, criblage haut débit), les 120 chercheurs mettent au point des modes originaux de délivrance des principes actifs (nouvelle galénique) dans des domaines aussi variés que la neuroprotection (maladie d'Alzheimer, SLA, chorée de Huntington, Parkinson, traumatismes médullaires, AVC, lésions cérébrales), les tumeurs neuro-endocriniennes (acromégalie), les cancers hormonodépendants, le diabète de type 2 (stimulation de l'insulinosécrétion), la prévention de la rétinopathie diabétique et la prévention de l'ostéoporose (analogue de la parathormone).

Les chercheurs d'Ipsen ont établi de fortes collaborations avec la recherche institutionnelle et universitaire, l'Inserm et le Cnrs.

A cette occasion, le jury a salué la fondation Ipsen, créée en 1983 sous l'égide de la Fondation de France.

Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8195