DEPUIS DE nombreuses années, l'intérêt des neurologues et des patients s'est focalisé sur l'aspect moteur de la maladie de Parkinson. En réalité, la maladie a un spectre de symptômes beaucoup plus large. Les aspects de dépression et de démence ont fait l'objet de plusieurs travaux, mais la douleur a été jusqu'à présent peu étudiée. L'étude DoPaMiP, une enquête épidémiologique transversale réalisée dans la région Midi-Pyrénées au cours de l'année 2005, s'est préoccupée de cet aspect de la maladie. Cette étude a été soutenue par un financement public dans le cadre d'un Phrc (programme hospitalier de recherche clinique) et par des subventions sans interventions de laboratoires pharmaceutiques (1). Une trentaine de neurologues hospitaliers et libéraux ont soumis des questionnaires et réalisé un examen clinique chez 450 patients parkinsoniens reçus à leur consultation. Les questionnaires évaluaient les critères socio-démographiques des patients, l'histoire et la sévérité de leur maladie, les traitements pris. La définition de la douleur chronique était celle de l'International Association for the Study of Pain (Iasp). Un questionnaire spécifique décrivait ces douleurs chroniques et était complété par des échelles de qualité de vie et de sommeil, d'anxiété et de dépression, de recours aux soins et de consommation d'antalgiques. Un groupe témoin était composé de 98 patients non parkinsoniens, appariés pour l'âge et le sexe.
Il est apparu dans ce travail que plus de 60 % des patients parkinsoniens souffraient de douleurs chroniques telles qu'elles sont définies par l'Iasp, et que ce pourcentage était deux fois plus important que dans le groupe des sujets témoins, après ajustement pour les pathologies ostéo-articulaires qui sont fréquentes et sources de douleur dans cette tranche d'âge. Parmi les douleurs chroniques relevées chez les parkinsoniens, un quart n'avaient pas de rapport avec la maladie de Parkinson (douleurs d'origine arthrosique essentiellement) alors que 40 % lui étaient liées directement ou indirectement. Ces douleurs « parkinsoniennes » étaient le plus souvent présentes en condition « off » chez les malades fluctuants et étaient généralement décrites comme des douleurs pseudo-musculaires ou pseudo-articulaires (environ 60 % des cas) par les médecins. Plus rarement, ces derniers les décrivaient comme des douleurs pseudo-neuropathiques (14 % des cas) ou des dystonies douloureuses en condition « off » (17 % des cas). Inversement, les douleurs à mettre sur le compte des effets des médicaments antiparkinsoniens étaient rares : seulement quelques cas de dystonies « on » et quelques cas de douleurs arthrosiques aggravées par des dyskinésies induites par la lévodopa étaient relevés.
L'intensité des douleurs parkinsoniennes, cotée par échelle analogique visuelle (EVA), était en moyenne plus importante que celle les douleurs chroniques non parkinsoniennes. Les scores d'anxiété, de dépression et de score de qualité de vie des malades atteints de douleurs parkinsoniennes étaient plus mauvais que ceux des parkinsoniens ne souffrant pas de douleurs chroniques. La topographie et les facteurs d'aggravation des douleurs parkinsoniennes et non parkinsoniennes étaient eux aussi différents. Les douleurs parkinsoniennes touchaient plus volontiers les membres inférieurs et étaient plutôt aggravées par l'anxiété et les émotions, alors que les douleurs chroniques indépendantes de la maladie (principalement d'origine arthrosique) étaient surtout dorso-lombaires et étaient augmentées par des facteurs mécaniques comme l'effort. Enfin, le profil des patients souffrant de douleurs parkinsoniennes était différent de celui des parkinsoniens ne souffrant pas de douleur chronique : ils présentaient une maladie plus ancienne et ayant débuté plus tôt, avaient davantage de fluctuations motrices et des symptômes dépressifs plus marqués. Paradoxalement, les patients souffrant de douleurs parkinsoniennes consommaient moins d'antalgiques que les témoins ou que les patients parkinsoniens souffrant de douleurs non liées à leur maladie (40 % environ contre plus de 70 %). Les antalgiques les plus utilisés étaient des antalgiques de niveau I. Les patients souffrant de douleurs parkinsoniennes avaient fait part de leurs symptômes à leur médecin moins souvent que ceux souffrant d'une douleur non liée à la maladie.
Une physiopathologie encore mal connue.
Cette étude montre bien que la douleur chronique est un symptôme fréquent de la maladie de Parkinson, mais qu'elle est souvent sous-estimée et mal prise en charge. Une prise en charge optimale des patients parkinsoniens devrait passer par un meilleur dépistage et une meilleure évaluation de ces douleurs chroniques complexes, en faisant la part entre les douleurs parkinsoniennes et celles pour lesquelles la maladie de Parkinson ne semble pas contribuer. Des travaux antérieurs ont cherché à analyser la physiopathologie de ces douleurs parkinsoniennes. On sait qu'une part des douleurs se révèle parfois directement liée aux symptômes moteurs de la maladie, comme c'est le cas lorsque les malades souffrent de phénomènes dystoniques responsables de contractions musculaires parfois hyperalgiques. Mais il semble également que les patients parkinsoniens possèdent un seuil de la douleur anormal, plus bas que les sujets témoins. Le déficit central dopaminergique pourrait contribuer à cette anomalie en générant une anomalie de la transmission ou du traitement des messages nociceptifs, probablement au niveau central. Cependant, la prise en charge de ces douleurs n'est pas codifiée, l'effet des antalgiques n'ayant pas encore été évalué de façon objective dans cette indication. La réalisation d'études dans ce domaine doit être encouragée. L'étude épidémiologique des symptômes parkinsoniens va se poursuivre dans la région Midi-Pyrénées, notamment grâce à une subvention de l'association France Parkinson. Des travaux similaires débuteront prochainement sous forme d'une cohorte prospective de suivi de patients parkinsoniens dans la région, en se focalisant sur la douleur mais aussi sur d'autres symptômes mal connus de cette maladie comme la fatigue, l'apathie ou les troubles du système nerveux autonome.
D'après un entretien avec le Pr Olivier Rascol, pharmacologue, Toulouse.
(1)Sponsors : Boehringer Ingelheim, Eisai, Faust Pharmaceuticals, Fertizin, Euthérapie, GlaxoSmithKline, Pierre Fabre Médicaments, Solvay Pharma, Wyeth Lederlé et institut UPSA de la douleur, association ADREN. PHRC régional 2003 : « Etude transversale de la douleur chronique chez des patients parkinsoniens ambulatoires vivant en région Midi-Pyrénées (Dopamip) ». N° dosser : 03 021 08.
Groupe d'étude DoPaMiP. Steering Committee : N. Attal, S. Andrieu, D. Bouhassirat, F. Chollet, J.-F. Demonet, A. Fourrier, I. Gasquet, H. Grandjean, M. Lapeyr-Mestre, Y. Lazorthes, J.-P. Lepine, J.-L. Montastruc, L. Nègre-Pagès, O. Rascol, J.-M. Senard, M. Tiberge. Investigators Committee : G. Angibaud, F. Attané, . F Azais, C. Azais Vuillemin, J.-P. Balagué, M Barreda, M. Benazet, F. Bonenfant, J.-M. Boulesteix, C. Carel, D. Castan, M. Chapelle, M.-C. Chopin, V Cochen, C. Colombier, L. Damase, A. Danielli, R. Darmanaden, J. David, W. Delage, J.-M. Faucheux, S. Fontayne Aguié, C. Guiraud-Chaumeil, P. Henry, B. Jardillier, W. Regragui, J. Rey-Zermati, J.-R. Rouane, M.-H. Rougié , A.-M. Salandini, A. Senard, J. Siboni, X. Soulages, N. Stambouli. Management Committee : M. Aristin (Biostatistics), S. Bonenfant (Data Collection), M. De Llobet (Phrc Administration), E. Guillaud (Secretary), M.-E. Llau (Phrc Administration), A. Mabialah (Data Management), A. Milhet (Logistics).
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