LE FAIT est désormais établi : prendre 300 mg d'aspirine chaque jour permet d'obtenir, au bout de dix ans, une réduction significative du risque de cancer colo-rectal (« le Quotidien » n° 8165 du 14 mai 2007). Il restait cependant à comprendre comment le médicament exerce cet effet protecteur. Aujourd'hui, les travaux d'une équipe de chercheurs de l'hôpital général de Boston apportent les premiers éléments de réponse. C'est vraisemblablement grâce à son action inhibitrice sur la cyclo-oxygénase-2 (COX-2) que l'aspirine minimiserait le risque le cancer du côlon. Chan et coll. ont découvert que la consommation régulière d'aspirine n'a d'effet que sur la prévention des tumeurs coliques qui surexpriment cette cyclo-oxygénase.
Depuis qu'il a été observé que l'aspirine pourrait abaisser le risque de néoplasmes colo-rectaux, différentes hypothèses permettant d'expliquer le phénomène ont été proposées. L'aspirine est bien connue pour inhiber les cyclo-oxygénases, mais elle a aussi un effet inhibiteur sur le facteur nucléaire kappa B (un facteur de transcription qui active l'expression de gènes en réponse à des cytokines pro-inflammatoires). Elle peut, en outre, induire le catabolisme des polyamines et même l'apoptose en activant la kinase p38. Parmi ces différentes propriétés, restait à déterminer quelle(s) étai(en)t celle(s) impliquée(s) dans la protection contre les cancers coliques.
Souvent surexprimée dans les tumeurs coliques.
Chan et coll. ont testé l'hypothèse selon laquelle l'aspirine inhibait la progression tumorale en bloquant l'activité de COX-2. Les chercheurs ont choisi d'étudier cette théorie car elle était déjà étayée par de nombreux arguments.
La cyclo-oxygénase COX-2 est en effet impliquée dans la genèse de phénomènes inflammatoires et dans des événements de prolifération cellulaire qui peuvent participer à la progression tumorale. De plus, il a été établi que l'enzyme est souvent surexprimée dans les tumeurs coliques. Enfin, il est apparu que des inhibiteurs sélectifs de la protéine peuvent conduire à une réduction du risque de récurrence des adénomes chez les patients à risque.
Les chercheurs américains ont fondé leur étude sur l'utilisation des données et d'échantillons biologiques des cohortes NHS (Nurses' Health Study, 121 701 femmes) et Hpfs (Health Professionals Follow-up Study, 51 529 hommes). Sur l'ensemble des individus étudiés, 636 cas de cancers colo-rectaux ont été identifiés. L'analyse de biopsies tumorales a montré que les tumeurs exprimaient la protéine COX-2 dans 67 % des cas.
Les données relatives à la consommation d'aspirine des participants aux deux études ont permis à Chan et coll. de confirmer qu'une consommation régulière du médicament (325 mg au moins deux fois par semaine) diminue le risque de cancer du côlon (risque relatif de 0,73). Cependant, en séparant les cas de cancers COX-2 positifs des COX-2 négatifs, il est apparu que l'effet observé est pratiquement exclusivement dû aux cas COX-2 positifs. La consommation régulière d'aspirine n'est pas associée à une diminution du risque de cancers COX-2 négatifs (risque relatif de 0,96) alors qu'elle conduit à une diminution d'un tiers du risque de cancer COX-2 positifs (risque relatif de 0,64).
Au moins cinq doses (325 mg) d'aspirine par semaine.
En restreignant l'étude aux cas COX-2 positifs, Chan et coll. ont en outre montré que l'effet de l'aspirine sur la prévention des cancers coliques dépend de sa fréquence et de sa durée d'administration régulière. Un bénéfice important n'est observé que chez les personnes qui prennent au moins cinq doses (325 mg) d'aspirine par semaine et chez celles qui en ont une consommation régulière depuis au moins dix ans. Ces résultats sont en accord avec ceux de l'étude présentée dans le « Lancet » il y a dix jours.
Reste à savoir s'il est possible de prédire quelles sont les personnes à risque de cancer COX-2. La prise régulière d'aspirine sur une période de plus de dix ans n'étant pas anodine, il paraît préférable de la réserver aux seules personnes chez qui elle serait bénéfique.
Chan AT et coll., « N Engl J Med » du 24 mai 2007, vol. 356, pp. 2131-2142.
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