PAR LE Pr BRUNO DUBOIS*
EN 1996, Beka Solomon (1) a montré que des anticorps monoclonaux dirigés contre le peptide Aß-42 inhibent non seulement son agrégation in vitro, mais peuvent aussi resolubiliser des précipités fibrillaires d'Aß-42. Parallèlement, à partir d'une des mutations du gène codant pour l'APP (Amyloid Precursor Protein), un modèle murin de maladie d'Alzheimer a été réalisé. Les souris développent, après implantation génomique, des plaques amyloïdes à partir du septième mois. De plus, ces souris transgéniques présentent des troubles de mémoire spatiale, en particulier dans le test dit de la « piscine » de Morris. Schenk et coll. (2) ont alors immunisé ces souris par injection périphérique d'Aß-42 humain synthétique avant ou après qu'elles eurent développé des plaques corticales : l'immunisation précoce semblait empêcher, de façon spectaculaire, l'apparition des plaques amyloïdes, alors que l'immunisation plus tardive en freinait la progression. Il n'y avait pas de complications immunologiques à distance (reins, coeur…) ni de lésions cérébrales adjacentes aux plaques. Janus et coll. (3) rapportaient une amélioration des performances des souris vaccinées dans les tâches de mémoire, en particulier spatiale. Plusieurs mécanismes pouvaient rendre compte de cette réponse favorable observée sur le modèle murin : une activation de la microglie par le complexe antigène-anticorps ; une solubilisation passive du complexe anticorps-antigène ainsi produit ; une mobilisation des dépôts Aß-42 par gradient de concentration vers la circulation systémique.
De ces études sur les souris transgéniques est née l'idée d'une immunothérapie chez des patients souffrant de maladie d'Alzheimer. Cependant, rien de permettait de prédire qu'un tel traitement puisse avoir les mêmes effets chez l'homme. En effet, des troubles intellectuels ne sont pas corrélés avec la densité des plaques séniles au cours de la maladie d'Alzheimer. Les souris transgéniques n'ont pas de dégénérescence neurofibrillaire (DNF). Quoi qu'il en soit, Schenk et coll. ont ultérieurement testé l'immunogénicité et la toxicité d'un « vaccin » anti-Aß-42 humain (agrégats d'Aß-42 ; AN1792) en injections répétées, sur différentes espèces animales. Compte tenu de l'absence d'effet secondaire, la FDA a donné son aval pour une expérimentation humaine. En accord avec les différentes agences de contrôle sanitaire, et tenant compte de la bonne tolérance de ce vaccin dans les études de phase I chez l'homme, les Laboratoires Elan et Wyeth se sont engagés dans une étude internationale qui avait pour objectif de tester l'efficacité et de vérifier la tolérance chez des patients atteints de maladie d'Alzheimer de stade léger à modéré. Cette étude a débuté en août 2001, aux Etats-Unis et en Europe. Elle était prévue pour 18 mois, avec 6 injections I.M. à dose unique, en double aveugle, contre placebo. Cette étude a été interrompue à la mi-janvier 2002, en raison de l'apparition de méningo-encéphalite vaccinale. Dix-huit patients au total ont développé cette complication (4). Tous avaient été traités par l'AN1792 et avaient reçu, pour l'essentiel, 2 injections. Le mécanisme de ces méningo-encéphalites n'est pas encore totalement éclairci. Parmi les hypothèses retenues, celle d'une immunogénicité trop forte de la protéine injectée.
Et maintenant…
Quoi qu'il en soit, les travaux ultérieurs ont montré que les immuns sérums étaient bien dirigés contre les cibles pathogènes (5), que les plaques séniles étaient moins nombreuses dans le cerveau de patients qui étaient décédés après immunothérapie (6) et que des fragments réduits du peptide avaient le même pouvoir anticorps sur des modèles animaux que le peptide Aß. Compte tenu de ces trois éléments, de nouveaux essais sont actuellement en voie de réalisation, qui utilisent soit l'injection de fragments de quelques acides aminés (étude Wyeth ; étude MSD), soit l'immunisation passive par injection d'anticorps humanisés (étude Roche). D'une façon générale, ces protocoles cherchent à répondre à toutes les garanties et précautions nécessaires (ponctions lombaires régulières, mesure du taux d'anticorps circulant, augmentation programmée des doses avec accord d'un Safety Committee…). Ces études ont déjà commencé aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d'Europe, et elles sont en attente d'autorisation en France.
Le Protocole MSD est un protocole international, multicentrique en double aveugle, contrôlé, contre placebo, avec recherche de doses. Le peptide (V950) est injecté avec un adjuvant (MAA) soit isolément, soit associé à l'iscomatrix (IMX). Les patients inclus devront avoir un score de MMS supérieur à 18 et l'ensemble de l'étude internationale portera sur 70 patients environ. L'étude a commencé aux Etats-Unis et a obtenu l'autorisation en Suède et aux Pays-Bas. Le Protocole Wyeth est une étude de phase IIa, multicentrique, randomisée, contrôlée à doses multiples croissantes d'un peptide également réduit (ACC-001) associées à l'adjuvant QS21. Le peptide est composé de 7 résidus amino-acides N terminaux du peptide Aß.
Les patients Alzheimer devront avoir un score de MMS supérieur à 16 et seront stratifiés en deux sous-groupes : faible (score de MMS entre 16 et 20) ou fort (score de MMS entre 21 et 26). Dans les deux cas, la tolérance et l'acceptabilité des vaccins seront étudiées, notamment sur des signes cliniques, de neuro-imagerie, et sur les variations des taux d'immunoglobuline IgG et IgM anti-Aß totaux. L'efficacité sera évaluée sur les performances cognitives, sur des paramètres de neuro-imagerie et sur des variations de concentration de peptide Aß et tau dans le liquide céphalo-rachidien.
Les centres français, les patients et les associations de malades espèrent que ces deux études vont pouvoir être réalisées en France et démarrer le plus tôt possible.
* Centre des maladies cognitives et comportementales, Inserm U610, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
(1) Solomon B, Koppel R, et al. Monoclonal antibodies inhibit in vitro fibrillar aggregation of the Alzheimer beta-amyloid peptide. Proc Natl Acad Sci USA, 1996;93:452-455.
(2) Schenk D, Barbour R, et al. Immunization with amyloid-beta attenuates Alzheimer-disease-like pathology in the PDAPP mouse. Nature 1999;400:173-177.
(3) Janus C, Pearson J, et al. AB peptide immunization reduces behavioural impairment and plaques in a model of Alzheimer's disease. Nature 2000;408:979-982.
(4) Orgogozo JM, Gilman S. Dartigues JF, et al. Subacute meningoencephalitis in a subset of patients with AD after Abeta42 immunization. Neurology 2003;61(1):
46-54.
(5) McLaurin J, Cecal R, Kierstead ME, et al. Therapeutically effective antibodies against amyloïd-beta peptide target amyloïd-beta residues 4-10 and inhibit cytotoxicity and fibrillogenesis. Nat Med 2002;8(11):1263-1269.
(6) Nicoll JA, Wilkinson D, Holmes C, et al. Neuropathology of human Alzheimer disease after immunization with amyloïd-beta peptide : a case report. Nat Med 2003;9(4):448-452.
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