LA PRÉVENTION des maladies cardio-vasculaires n'est pas facile à mettre en oeuvre. Le non-suivi des régimes est l'une des préoccupations majeures. En effet, l'acte alimentaire représente beaucoup plus que le support de la fonction biologique de nutrition, mais constitue un acte humain véhiculant les questions sociales et culturelles fondamentales. Un « modèle alimentaire » peut ainsi être défini. Chaque modèle est délimité par des notions de temps et d'espace géographique prenant en compte des références culturelles et sociales (1). Cette dimension sociale est un déterminant du non-suivi des régimes. Il en va de même du type de relation entre personnes soignantes et personnes soignées, et plus particulièrement de la relation médecin-malade. Le patient auquel un régime alimentaire est prescrit peut également adopter ou non son « rôle de malade ». Enfin, la sociologie du risque est également un facteur à prendre en compte. Ainsi, le niveau de perception du risque cardio-vasculaire est variable selon les sujets, de même que le niveau de décalage entre le discours de l'expert, en l'occurrence le médecin prescripteur, et le profane.
Identifier les causes et le « lieu de contrôle relatif à la santé ».
J.-P. Poulain et coll. (Cnrs, unité 5044, Toulouse) ont entrepris de préciser l'importance de ces déterminants sociaux. Pour cela, ils ont réalisé une enquête qualitative portant sur 21 entretiens individuels avec des patients hypercholestérolémiques. Différents participants, sélectionnés en fonction de critères de représentativité, ont participé à une discussion de groupe (« focus groupe »), afin de déterminer une typologie des patients.
Cette étude a permis de mettre en évidence quatre causes de rupture de régime : le rapport du patient au monde médical en est la première. Un patient a, par exemple, déclaré : «Je ne crois pas ce que dit un médecin.» Une deuxième cause est la perception des risques liés à la pathologie. Un autre malade signale par exemple que l'hypercholestérolémie «est un mal indolore». Une troisième cause est le contexte social du sujet. Certains déclarent qu'ils ne désirent pas «manger à part» (de la famille, par exemple). Enfin, le modèle alimentaire est le dernier déterminant. Il participe à l'affirmation de l'identité du sujet. C'est à cette dernière catégorie que doit être rattachée l'affirmation du type : «Je suis d'une région de fromages».
Le concept de lieu de contrôle relatif à la santé est fructueux pour prédire les comportements de santé des individus, en particulier leur possibilité de s'impliquer activement dans une démarche de type préventif (2). Ce lieu de contrôle peut être interne ou externe. S'il est externe, il peut alors être médicalisé ou non. Dans ce dernier cas, le contrôle peut être familial ou laissé à la chance. Quatre groupes de sujets sont ainsi individualisables. Le premier groupe est celui des patients acteurs de leur traitement. Ces derniers appartiennent volontiers à une catégorie socioprofessionnelle supérieure, sont fréquemment âgés de moins de 45 ans et écoutent le médecin. Rationnels, ils appliquent les recommandations. Le seul frein est le contexte social (repas d'affaires, contraintes familiales, par exemple). Les malades du deuxième groupe font gage de bonne volonté. Ils sont d'âge moyen, vivent en couple, ont un bon niveau de connaissances. Mais les habitudes constituent une entrave à la mise en oeuvre des règles. La troisième catégorie est celle des opposants, des patients qui ont de mauvais rapports avec le corps médical. Dans le quatrième groupe, enfin, les fatalistes, aux antécédents familiaux lourds, sont dépendants d'un modèle alimentaire traditionnel.
« Internaliser le patient ».
Les actions à entreprendre pour encourager le respect de la prescription d'un régime alimentaire supposent l'identification de la typologie du patient. Ces actions peuvent être directes ou participatives, et impliquer le sujet ou son environnement. Chez le patient acteur de sa santé, il suffit de poursuivre l'information. Chez les patients de bonne volonté, les actions participatives sont particulièrement indiquées. Chez les opposants, des actions participatives peuvent être associées à des actions directes dont l'objectif est « d'internaliser » le sujet, c'est-à-dire de faire en sorte qu'il se prenne en charge au lieu d'externaliser le contrôle de sa maladie vers d'autres acteurs. Chez les fatalistes, enfin, toutes les actions peuvent être tentées.
D'une manière globale, le groupe familial est un levier d'action auquel il faut savoir penser. L'internalisation du patient est enfin un objectif qui devrait être constant.
« Prévention des maladies cardio-vasculaires : vaincre les difficultés au quotidien », session présidée par le Pr Eric Bruckert (hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris) avec la participation de Tristan Fournier (université de Toulouse).Références :
(1) Manger Aujourd'hui, Attitudes, normes et pratiques. Poulain JP. Privat Ed. Paris, 2002.
(2) Consoli SM, Bruckert E. Lieu de contrôle relatif à la santé et représentations du cholestérol. Résultats de l'enquête FRACTION. « L'Encéphale » 2004 ; 30 (4) ; 331-41.
(3) Law MR et coll. « BMJ » 2003 ; 326 (7404) : 1423.
(4) Baigent C et coll. « The Lancet » 2005 ; 366 : 1267-78.
(5) Robinson JG et coll. J Am Coll Cardiol 2005 ; 46 : 1855-62.
(6) Gislason GH et coll. Eur Heart J 2006 ; 27.
(7) Ho PM et coll. Arch Intern Med 2006 ; 166 (17) : 1842-7.
L'observance du traitement par statine
Les règles du traitement de l'augmentation du LDL cholestérol sont fondées sur le bénéfice démontré de son abaissement en termes d'événements cardio-vasculaires, comme la métaanalyse de M.R. Law et coll. l'a montré (3). Le bénéfice des statines, dans ce contexte clinique, a également été bien établi par une métaanalyse publiée en 2005 (4). Ce bénéfice s'explique par l'abaissement du taux de LDL cholestérol (5). Les recommandations en vigueur distinguent la prévention primaire et la prévention secondaire. Le patient à haut risque y est défini par des antécédents de maladie cardio-vasculaire, un diabète de type 2 à haut risque ou encore un risque de survenue d'un événement coronarien à 10 ans supérieur à 20 %.
Selon des données récentes d'observance, 82 % des patients seraient toujours sous statine à 5 ans (6). Mais 1 patient sur 4 a arrêté ce traitement au moins 180 jours. Cet arrêt n'est pas sans conséquence sur le risque cardio-vasculaire : l'arrêt de l'aspirine, d'une statine ou du bêtabloquant un mois après un infarctus s'accompagne d'une augmentation de mortalité à 12 mois, avec un risque relatif de 3,81. Ces difficultés d'observance sont celles des pathologies chroniques et asymptomatiques.
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