DANS LES SOCIETES PRIMITIVES, les hommes se fient à des choses concrètes, en particulier à ce qu'ils voient. Dans ces sociétés, nous dit le Pr Guillet, « l'apparence de la peau est primordiale dans sa façon d'être dévoilée au regard et dans sa façon d'être interprétée lorsqu'elle porte des marques ou qu'elle est malade ». Marquer la peau avec des peintures, des tatouages ou des piercings permet de délivrer un message destiné à autrui, mais aussi et surtout à des forces invisibles ou à des divinités. Certains rituels, que l'on pourrait appeler pacte de chair ou pacte de peau, qui vont des scarifications à la mutilation, ont notamment pour dessein de s'assurer une protection par les forces surnaturelles. « Certains psychanalystes ont aussi suggéré que les populations primitives, effrayées par un monde sur lequel elles se sentaient incapables de mettre leur marque, ont trouvé un moyen de se rassurer en se marquant elles-mêmes », ajoute le Pr Guillet.
Dans les religions monothéistes.
En souvenir du péché d'Adam et Eve, les religions chrétienne, musulmane et juive ont interdit de modifier durablement l'apparence par des marques, tout particulièrement par des tatouages, car il ne faut pas contrefaire l'œuvre de Dieu. « Le christianisme du Moyen Age ne tolérait pour seul tatouage que le symbole de la croix ou du Christ, sous réserve qu'il s'agisse de personnes en partance pour la Terre sainte, pour qu'ils puissent être reconnus comme chrétiens et bénéficier d'une sépulture chrétienne », précise le Pr Guillet. D'une manière générale, la tradition de ces religions voulait que la peau soit cachée parce que la séduction liée à la nudité « était une sorte de référence au péché et à la séduction du diable ». Le Coran a recommandé que la femme ne montre sa peau, ses cheveux et ornements qu'aux très proches. Sous l'emprise des religions, certains religieux ont pu imposer dans la vie laïque la tenue des lieux de prière, avec la tête, les bras et les jambes couverts.
Des codes d'apparence sont nés de l'intrication de règles culturelles, sociales et religieuses, dont les marques sur la peau en sont un bon exemple. « Certaines marques sont même dénuées de toute spiritualité, par exemple, les piercings des mamelons qui étaient signe de courage et de virilité chez les guerriers romains », rappelle le Pr Guillet. De même, le piercing de l'oreille n'a été pendant longtemps qu'un symbole de richesse.
Au-delà du phénomène de mode.
Les marques corporelles, tatouages et piercings sont à la mode. « Mais ce n'est pas seulement qu'un phénomène de mode : s'il y a une telle flambée, un tel engouement, c'est que le corps a repris la liberté de se moduler à sa guise en tournant le dos aux interdits religieux monothéistes qui ont codifié l'apparence pendant des siècles », souligne le Pr Guillet. Le tatouage a recouvré ainsi chez certains sujets sa vocation d'origine, protectrice ou valorisante, en fonction du pigment ou du dessin. La symbolique reste aussi importante que dans les croyances animistes traditionnelles. Le dessin n'est pas choisi pour sa seule esthétique : le bègue japonais se fait tatouer la déesse de l'éloquence, le faible choisit l'emblème de la force.
Aujourd'hui, les marques sur la peau ont tendance à perdre leur signification mystique ou sociale, pour rejoindre l'esthétique pure du body art : il ne s'agit plus que de mettre le corps en valeur, en affichant une certaine forme de liberté. « Celui qui se fait tatouer a conscience d'être maître de son corps et d'avoir le droit de le marquer comme il le veut », souligne le Pr Guillet.
Symbolique punitive.
Chez les peuples animistes, les maladies de peau ont été interprétées comme une malédiction, un sort jeté par un être malfaisant ou une punition divine pour avoir fait quelque chose de mal, y compris dans une vie antérieure. Dans les religions monothéistes, elles ont été considérées comme la conséquence de mauvaises actions ou de mauvaises pensées. On retrouve des exemples de cette symbolique punitive dans les textes sacrés, comme dans les « Védas » de l'Inde ou dans la « Bible » : Myriam, la sœur de Moïse, a été frappée de lèpre pour avoir douté de son frère et offensé Yahvé. Une maladie de peau peut aussi correspondre à une mise à l'épreuve, comme l'indique l'histoire de Job. Enfin, il faut dire un mot des ablutions qui étaient autrefois un rite essentiel. Puisque la peau était le miroir du mal ou du bien, on pensait que ce qui lavait la peau pouvait aussi laver l'âme, ainsi Ponce Pilate. « Les moments de prière étaient aussi une occasion de rassemblement dans des conditions de promiscuité justifiant un minimum d'hygiène tant au niveau spirituel que corporel », ajoute le Pr Guillet. Aujourd'hui, l'interprétation mystique des maladies de peau a pratiquement disparu, mais il reste encore des peurs irrationnelles qui ne sont plus celles de la contagion, mais celles du laid et de la différence.
(1) Albin Michel Ed, CHU de Poitiers.
L'exemple du berger
Un exemple de symbolique punitive est celui de Syphilus, berger sur l'île d'Hispaniola (aujourd'hui Haïti - Saint-Domingue), imaginé par un médecin de Vérone, Girolamo Fracastorius, dans un poème en trois livres, « Syphilus, sive morbus gallicus» (« du mal français »), publié en 1530. Révolté contre la famine qui s'abattait sur son île, Syphilus renia le dieu Apollon, qui le punit en lui envoyant la maladie qui porte son nom...
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