L'« ÉPIDÉMIE » tant redoutée de cancers liés à l'utilisation d'amiante dans les années 1960-1980 reste encore difficile à quantifier. Les dernières statistiques publiées en 2004 estimaient entre 100 000 et 140 000 le nombre de décès survenant chaque année dans la population de travailleurs mondiaux, et 5 à 7 % des cancers du poumon pourraient aussi être en rapport avec une exposition toxique. Mais l'une des difficultés à quantifier avec précision le nombre de décès à attendre au cours des prochaines années tient à un manque de moyens de mesure de l'exposition à l'amiante. On considère en effet que 20 à 40 % des travailleurs pourraient avoir été en contact avec l'amiante, mais que l'effet de ce contact pourrait être totalement différent selon le type de métier pratiqué et selon la proximité avec le toxique.
Pour mieux anticiper la survenue des cas de cancers en Europe, en Amérique du Nord, au Japon et en Australie, une équipe de chercheurs japonais a mis en place la première étude écologique sur le lien entre la consommation d'amiante et la survenue de certains cancers, tels que le mésothéliome pleural ou péritonéal et l'asbestose.
La consommation d'amiante par habitant.
Le Dr Ro-ting Lin a pris en compte la consommation d'amiante par habitant de la décennie 1960-1969, période au cours de laquelle il existait une frénésie d'utilisation de ce matériau isolant mais toxique. Cette période a aussi été choisie parce que le délai avant l'apparition de manifestations cliniques graves est généralement estimé à une quarantaine d'années. Pour évaluer la consommation, les auteurs ont pris en compte la production, les importations et les exportations d'amiante sans pour autant prendre en compte le type de fibres utilisées (amphiboles ou chrysotiles).
L'analyse des décès a été fondée sur les registres de cancer récapitulant tous les cas survenus entre 2000 et 2004 et précisant la forme histologique de la tumeur.
«Seulement 35pays disposent de ces doubles informations et il s'agit majoritairement des pays industrialisés. Le travail que nous avons effectué ne prend donc pas en compte certains pays tels que la Russie, la Chine ou l'Inde chez qui le risque de cancer pourrait être important en raison de l'utilisation prolongée dans le temps d'amiante et du manque de moyens de protection des travailleurs», analyse le Dr Lin.
Différences entre hommes et femmes.
«La quantité d'amiante utilisée apparaît comme un facteur prédictif de décès dû à un mésothéliome, quelle qu'en soit l'origine et dans les deux sexes, puisque le risque augmente de 1,6 à 2,7fois pour chaque kilo d'amiante utilisé par personne dans la population. Généralement, le risque de tous les cancers en rapport avec l'amiante est lié à la consommation chez l'homme, alors que, chez les femmes, seuls les mésothéliomes de toute origine et les tumeurs péritonéales semblent liés à l'utilisation du toxique.»
Le développement d'un modèle mathématique fondé sur l'analyse du lien entre la consommation d'amiante et la survenue de tumeurs pourrait permettre de mieux évaluer le risque de cancer au cours des prochaines années.
Ce modèle devra prendre en compte les risques de développement tumoral avant et après la décennie postexposition qui seule a été retenue pour l'étude des chercheurs japonais. Il devra être adapté à la consommation tabagique, puisqu'on sait que le risque de cancer lié à l'amiante est plus important lorsqu'il s'accompagne d'une coexposition aux toxiques contenus dans le tabac.
En conclusion, les auteurs soulignent que «cette étude écologique prouve la relation positive entre la consommation d'amiante et le risque de certains cancers. Cette relation est plus importante chez l'homme, mais elle existe aussi chez les femmes. En raison du lien de causalité que nous avons confirmé, il est essentiel que l'ensemble des Etats de la planète s'accorde à éliminer totalement l'utilisation d'amiante comme isolant».
« The Lancet », vol. 369, pp. 844-849, 10 mars 2007.
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