2-5 février 2007, Lyon
LES TUMEURS étendues, touchant exclusivement la trachée, sont rares. Il peut s’agir de tumeurs à malignité atténuée (cylindrome ou carcinome adénoïde kystique, cancer muco-épidermoïde), peu sensibles à la chimiothérapie et à la radiothérapie, ou encore de tumeurs épidermoïdes du fumeur, d’ordinaire souvent associées à une tumeur pulmonaire. Dans ces cas particuliers, la chirurgie avec résection de la tumeur, suivie d’une greffe pour remplacer la portion de trachée retirée, reste la seule solution envisageable. En effet, après résection d’une tumeur de grande taille – la moitié de la longueur totale de la trachée chez l’adulte (soit 8 cm ou plus), un tiers chez l’enfant –, il devient impossible d’anastomoser les parties supérieure et inférieure de la trachée. Cependant, des années de recherche et d’essais ont été nécessaires pour trouver le moyen de pallier l’absence de trachée, l’un des rares organes à ne jamais avoir été transplanté avec succès.
Beaucoup de contraintes.
Pour réaliser un remplacement trachéal idéal, le greffon doit être biocompatible (ne provoquant pas la formation d’antigènes) et viable, c’est-à-dire, capable de rester en place à vie. Or, depuis les années 1950, les essais se sont tous soldés par des ruptures d’anastomose, des érosions de vaisseaux contre la prothèse, voire des nécroses du greffon trachéal transplanté dans un délai maximal de 8 jours ! «L’aorte étant un tube circulaire viable et biocompatible, elle nous est finalement apparue, après mûre réflexion, comme faisant un bon candidat à la transplantation», explique le Pr Azorin. Encore fallait-il le démontrer !
Première étape, l’animal : le travail expérimental a été réalisé par le Dr Emmanuel Martinod, alors DES dans le service du Pr Azorin, dans le cadre d’un DEA. Une portion d’aorte a été prélevée chez une brebis et transplantée à la place de la trachée réséquée (autogreffe). Une endoprothèse de type Dumon a ensuite mise en place pour assurer le maintien des parois. L’opération a été réitérée chez d’autres brebis, avec succès, dans le laboratoire d’étude des greffes et des prothèses cardiaques du Pr Carpentier (Paris-VI). Trois mois après la transplantation, des îlots cartilagineux et des chondrocytes ont été mis en évidence dans la média de l’aorte, les cellules souches de l’hôte venant coloniser le greffon qui lui sert alors de tuteur. Environ six mois après la transplantation, les brebis possédaient une trachée « comme régénérée » et il est devenu possible de retirer l’endoprothèse. D’autres essais ont alors été effectués avec des allogreffes d’aorte (donc des greffons en provenance d’autres brebis), aboutissant à des résultats comparables (une cinquantaine de brebis ont ainsi été opérées au total). Puis, à Lille, des expériences similaires ont été menées sur des cochons, à partir d’allogreffes cryopréservées, mais les îlots de cartilage ont alors eu plus de mal à se former.
Seconde étape, l’application humaine : la première greffe d’aorte chez l’homme a été réalisée, en juin 2004 au CHU de Limoges, par l’équipe du Pr Marc Laskar avec le concours du Pr Azorin, chez un homme de 68 ans atteint d’un carcinome épidermoïde limité à la trachée. Une portion de son aorte abdominale a été prélevée et remplacée par une prothèse. Puis, la tumeur trachéale a été réséquée et remplacée par le greffon aortique dans lequel une endoprothèse en silicone de Dumon a été mise en place. Les suites opératoires ont été simples, mais trois mois après l’intervention, il été décidé de retirer le stent qui avait tendance à glisser et à obstruer le départ des deux bronches souches. Trois mois plus tard, le patient est décédè d’une septicémie avec infection pulmonaire bilatérale et s’est alors posée la question de savoir s’il n’aurait pas été victime d’un collapsus de l’aorte, entraînant des difficultés pour expectorer, d’où, à terme, la survenue d’une infection pulmonaire.
La rigidité du greffon reste à améliorer.
Troisième étape, d’autres essais chez l’homme : l’équipe du Pr Alain Wurtz et du Pr Marquette du CHU de Lille, toujours avec le concours du Pr Azorin, a opéré en mars 2005 un homme de 46 ans porteur d’une tumeur muco-épidermoïde. Après résection de la tumeur, la trachée a été remplacée par une allogreffe fraîche d’aorte de 10 cm, dans laquel un tube en silicone était glissé. Les suites ont été simples et le malade est toujours vivant. Toujours avec l’accord du Comité consultatif national d’éthique, une deuxième allogreffe a été effectuée avec la même équipe, chez un jeune homme d’une vingtaine d’années atteint d’un cylindrome adénoïde kystique. Le jeune homme est toujours vivant à ce jour, avec cependant une autonomie limitée. Deux autres patients, également atteints d’une tumeur étendue de la trachée, ont reçu une allogreffe, cryocongelée cette fois : la nécrose du greffon chez l’un des deux patients a nécessité une reprise chirurgicale.
«Dans les rares cas de tumeurs étendues de la trachée, l’allogreffe d’aorte fraîche offre donc un réel espoir, conclut le Pr Azorin. Cependant, il s’agit d’un traitement lourd et il n’y a pas de certitude, chez l’homme, que l’aorte va évoluer en trachée, avec apparition du cartilage, comme chez la brebis. Bien qu’il se soit écoulé deux ans chez les premiers opérés, ils doivent pour l’instant conserver leur endoprothèse en silicone. La rigidité du greffon reste donc à améliorer. C’est tout l’enjeu des prochaines années. Des recherches portent actuellement sur la fabrication de tissu trachéal, mais nous n’en sommes qu’aux prémices.»
D’après un entretien avec le Pr Jacques Azorin, chef du service de chirurgie thoracique et vasculaire de l’hôpital Avicenne, Bobigny.
Résultat à 18 mois
En l’absence de cancer
Pas question de proposer une transplantation de la trachée lorsque d’autres solutions thérapeutiques existent ! En l’absence de tumeur, l’endoscopie interventionnelle avec recours au laser, à la fulguration ou à la cryothérapie permet de désobstruer la trachée, puis de placer une endoprothèse de type Dumon (droite ou en Y) pour permettre aux parois de rester rigides. Et, en cas de sténose trachéale ou de tumeur de taille limitée, une simple résection-anastomose suffit.
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