PAR LE Pr ERIC SOUIED ET LE Dr VALERIE LETIEN*
LA DÉGÉNÉRESCENCE maculaire liée à l’âge (Dmla) représente un enjeu majeur de santé publique et justifie tous les efforts pour une prévention adaptée. Globalement, trois méthodes sont utilisées : l’information, par exemple les campagnes de santé publique ; la formation en santé publique, thématique et méthodologique et l’éducation pour la santé qui se caractérise par la mise en place de projets aux démarches parfois très différentes. L’information, la formation ou l’éducation pour la santé peuvent être employées dans un même projet à des étapes différentes ou constituer à elles seules un projet de santé publique. A chaque stade de prévention, primaire, secondaire et tertiaire, ces trois moyens peuvent être employés.
Prévention primaire.
Dans le cadre de la Dmla, elle correspondrait à des actions visant à détecter des individus à risque avant les premiers signes de Dmla, à l’aide de moyens biologiques ou génétiques, ou par un questionnaire sur les facteurs de risque. Il s’agit également, à l’échelon collectif de campagnes de sensibilisation et d’information afin de recommander dans la population des mesures préventives : lutte contre le tabagisme ou encore un régime alimentaire approprié, riche en antioxydants, en lutéine ou en DHA.
A l’instar des maladies cardio-vasculaires, un questionnaire simplifié peut être proposé afin de détecter dans la population générale les individus à plus haut risque de Dmla. Plusieurs versions seront nécessaires, selon qu’il s’agisse d’un questionnaire pour un dépistage de masse, d’un questionnaire à utiliser par les médecins généralistes ou par les ophtalmologistes. Ces questionnaires ont également pour effet de sensibiliser la population « saine » à la Dmla.
Le tabagisme, y compris le tabagisme passif, est le facteur environnemental le plus souvent retrouvé dans les études évaluant les facteurs de risque, qu’il s’agisse des stades de précurseurs, des formes atrophiques, ou des formes exsudatives. Le risque d’être atteint de Dmla exsudative est multiplié par 6 pour un individu fumeur et par 4 pour un ancien fumeur. Il persiste jusqu’à vingt ans après l’arrêt de la consommation tabagique.
La surcharge pondérale est également associée à la Dmla, avec un risque relatif (RR) compris entre 2 et 2,5 selon les études pour les individus ayant un indice de masse corporelle > 25. Le risque est inversement corrélé avec la consommation de vitamines antioxydantes, de lutéine et d’oméga 3.
Enfin, l’existence d’antécédents dans la famille proche (parents, fratrie) multiplie le risque par 3 ou 4 selon les études.
Deux facteurs de prédisposition génétique majeurs ont récemment été décrits, le gène CFH et le gène HTRA1. Pour chacun d’eux, le RR de Dmla est proche de 3 pour les individus hétérozygotes et de 6 pour les individus homozygotes. A noter que CFH et HTRA1 sont indépendants, l’association des deux donnant un risque cumulatif. Ainsi, en conjuguant les polymorphismes sur les gènes CFH et HTRA1, le RR pour les individus doubles hétérozygotes est compris entre 32 et 57 selon les publications. Avec ce degré de risque, il est justifié et réaliste d’envisager la création de tests génétiques prédictifs simples.
Les antioxydants.Le rapport n° 8 de l’étude Areds a marqué un tournant dans notre concept de prévention de la Dmla. Cette large étude prospective interventionelle multicentrique a évalué l’effet protecteur d’une association d’antioxydants : hautes doses de vitamine C (500 mg/j), vitamine E (400 IU/j), bêtacarotène (15 mg/j) et de zinc (80 mg/j). Cette association a eu un effet protecteur chez les patients ayant déjà perdu la vision centrale sur un oeil (stade 4) et chez les patients ayant de larges drusen ou une atrophie géographique sans atteinte centrale (stade 3). Dans ces cas, les auteurs de cette étude ont évalué à 25 % la réduction du risque d’évolution vers une forme avancée de Dmla, sur une durée de cinq ans, le bénéfice de la supplémentation se maintenant à dix ans. Seule l’association de ces vitamines, à ces doses antioxydantes, semble avoir un effet bénéfique, la prise de ces vitamines de façon indépendantes n’ayant pas d’effet protecteur, comme en témoignent plusieurs études indépendantes.
Les acides gras oméga 3, et particulièrement l’acide docosahéxaénoïque (DHA), ont un triple rôle au niveau de la rétine : un rôle structurel, car il constitue l’acide gras polyinsaturé principal au niveau des membranes des disques des segments externes des photorécepteurs ; un rôle fonctionnel majeur dans les toutes premières étapes de la phototransduction et un rôle protecteur contre le vieillissement rétinien avec une activité antiapototique et anti-inflammatoire.
Récemment, huit études épidémiologiques indépendantes, fondées sur des questionnaires alimentaires, ont toutes mis en évidence une très nette relation inverse entre la consommation alimentaire d’oméga 3 (plus particulièrement en DHA) et l’incidence de la Dmla. En d’autres termes, une plus haute consommation en DHA aurait, d’après ces études, le potentiel de réduire de 30 à 50 % le risque de Dmla, et tout particulièrement le risque de Dmla exsudative. Une étude prospective interventionnelle, randomisée, en double insu, est actuellement en cours à l’hôpital intercommunal de Créteil (étude NAT2).
La consommation de caroténoïdes semble également avoir un effet protecteur contre la survenue de la Dmla. La lutéine, la zéaxanthine et la mésozéaxanthine, des caroténoïdes connus sous le nom de pigments xanthophilles, sont des composants naturels du pigment maculaire, responsables de la couleur jaune de la macula. La lutéine et la zéaxanthine ont deux modes d’action protecteurs : leurs propriétés biochimiques antioxydantes directes et leurs propriétés physiques de filtration des longueurs d’onde courtes, impliquant une réduction indirecte des lésions oxydatives induites par la lumière. Ces nutriments ne sont pas synthétisés par l’organisme et ne sont obtenus que par l’apport alimentaire (de 1,3 à 3 mg/j). En 1994, l’Eye Disease Case-Control Study Group (Edccs) a montré que les individus consommant le plus de caroténoïdes avaient une réduction du risque de Dmla de l’ordre de 43 %. Une analyse séparée des divers caroténoïdes a révélé que la lutéine et la zéaxanthine étaient plus spécifiquement associées à la baisse du risque. Dans la POLA Study, Delcourt et coll. ont observé une réduction significative du risque de maculopathie liée à l’âge (MLA) pour les individus avec les taux sériques les plus élevés en zéaxanthine. De même, le risque était inversement corrélé avec les taux sériques du couple lutéine-zéaxanthine. Ces résultats plaident fortement en faveur d’un rôle protecteur de la lutéine et de la zéaxanthine.
Plusieurs autres approches thérapeutiques préventives sont en cours d’évaluation.
Prévention secondaire.
Le dépistage de la Dmla se justifie si on reprend point par point les critères de l’OMS. Trois niveaux de dépistage de la Dmla peuvent être envisagés :
– dépistage de masse dans la population française de plus de 55 ans par un examen du fond d’oeil tous les trois ans ;
– dépistage ciblé sur une population à plus haut risque. Le risque accru sera défini par les études génétiques, cliniques et épidémiologiques. Il s’agit d’individus aux antécédents familiaux de Dmla et/ou fumeurs (> 10 paquets-années) et/ou avec surcharge pondérale, et/ou présentant des signes précurseurs déjà identifiés à l’examen du fond d’oeil (groupes 3 et 4 de la classification Areds 18). Une autoévaluation hebdomadaire à l’aide d’une grille d’Amsler et un examen annuel du fond d’oeil seront préconisés ;
– dépistage de l’apparition d’une Dmla sur le deuxième oeil. Une autoévaluation journalière à l’aide d’une grille d’Amsler et un examen du fond d’oeil tous les six mois seront préconisés. Une éducation du patient est indispensable afin de lui expliquer la conduite à tenir en cas de signes fonctionnels annonciateurs sur le deuxième oeil.
L’ophtalmologiste est en première ligne dans la détection de la Dmla, la présence de signes de MLA à l’examen du fond d’oeil représentant un facteur de risque majeur de Dmla.
La présence de drusen de grande taille (> 125 µ) ou d’anomalies de l’épithélium pigmentaire est associée à un risque de développer une Dmla par rapport aux yeux indemnes (respectivement 15,1 % contre 0,4 % et 20 % versus 0,8 %) sur un suivi de dix ans (Klein, 2002). Parmi les nombreuses études épidémiologiques sur le sujet, deux ont le mérite d’avoir analysé prospectivement le risque évolutif de chaque type de précurseurs.
La Blue Mountain Eye Study a retrouvé un risque de Dmla évoluée multiplié par 5,7 en cas de drusen séreux, multiplié par 10 en cas de drusen confluents et par 13 lorsque ces drusen confluents occupent une surface supérieure à 1/2 DP.
Dans les rapports 17 et 18 de l’Areds, les auteurs ont évalué sur 3 212 patients une grille de classification simplifiée correspondant à une échelle de risque de développer une Dmla à cinq ans, à partir de rétinophotos couleurs (stéréoscopiques). Cette grille se fonde sur la présence ou l’absence de :
– drusen larges (> 125 µ) = 1 facteur de risque (FDR) = 1 point ;
– d’altérations de l’épithélium pigmentaire = 1 FDR = 1 point ;
– drusen intermédiaires (entre 63 et 125 µ) aux deux yeux = 1 point.
L’addition des précurseurs (sur les deux yeux) permet de définir un score prédictif du risque de Dmla. Il a ainsi été établi une échelle de risque à cinq ans de développer une Dmla avancée, sur cinq stades :
– 0 point = 0,5 % de risque de développer une Dmla à cinq ans ;
– 1 point = 3 % ;
– 2 points = 12 % ;
– 3 points = 25 % ;
– 4 points = 50 %.
L’objectif est de pouvoir utiliser cette grille en pratique clinique directe, lors de l’examen à la lampe à fente ou lors d’un examen de dépistage (en prévention secondaire).
A l’échelon national, l’utilisation de rétinographes non mydriatiques pourrait permettre le dépistage de MLA (maculopathie liée à l’âge) ou de Dmla à plus grande échelle. Ces appareils de dernière génération permettent de réaliser des clichés du fond d’oeil sans avoir à dilater les sujets avec des résultats comparables à plus de 90 % aux rétinographes mydriatiques.
Prévention tertiaire.
La prévention tertiaire a pour objectif la réduction de la morbidité et donc des complications évolutives. L’éducation thérapeutique des patients s’inscrit dans la démarche de prévention tertiaire.
En conclusion, une meilleure connaissance des facteurs de risque nous permet de proposer maintenant pour la population des stratégies thérapeutiques de prévention des Dmla. Bien entendu, ces nouveaux traitements préventifs ne doivent pas nous faire relâcher nos efforts de traitements curatifs des néovaisseaux choroïdiens, qu’il s’agisse de la photocoagulation au laser, de la photothérapie dynamique ou des approches thérapeutiques anti-angiogéniques.
* Hôpital intercommunal de Créteil, service du Pr Gisèle Soubrane.
Recommandations hygiénodiététiques
Dans la population générale, il sera recommandé de lutter contre le tabagisme et la surcharge pondérale. Sur le plan nutritionnel, il est conseillé de consommer du poisson (gras de préférence) au moins trois fois par semaine, des légumes verts trois fois par semaine (épinards, choux, brocolis, etc.) et des fruits à haute teneur en vitamine C et E quotidiennement. Ces mesures sont applicables à tous, avant et après 55 ans, tout particulièrement pour les individus ayant un risque accru à cause du tabagisme, d’antécédents familiaux, d’une surcharge pondérale ou d’une hypercholestérolémie.
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