«ON PENSE traditionnellement qu’une maladie héréditaire est causée par la transmission d’une mutation dans notre code ADN», explique le Dr Suet Yi Leung, chercheur à l’université de Hong Kong. «Nous avons montré maintenant que le motif de méthylation peut également être transmis et causer une maladie héréditaire humaine, dont le cancer. Etant donné que l’examen des méthylations requiert des techniques spéciales et que leur existence peut nous échapper si l’on teste l’ADN uniquement dans les cellules sanguines, il faut réexaminer dans quelle mesure ce processus pourrait être impliqué dans les maladies héréditaires humaines. »
Le cancer colorectal héréditaire non polyposique (ou syndrome Hnpcc), syndrome familial caractérisé par une susceptibilité augmentée de faire plusieurs cancers, notamment celui du côlon, est causé par la mutation germinale d’un des gènes MMR (principalement MSH2 et MLH1), gènes de réparation de l’ADN lors de la réplication (MisMatch Repair). Ces mutations prennent généralement la forme d’une mutation permanente du code de l’ADN, trouvée dans chaque cellule de l’organisme, et transmise à la descendance de manière prévisible. Une simple prise de sang permet de confirmer la présence ou non de la mutation. Toutefois, un petit nombre de familles atteintes du syndrome Hnpcc ne présente aucune mutation des gènes MMR.
Comme un interrupteur.
L’équipe chinoise dirigée par le Pr Suet Yi Leung et le Dr Yuen a étudié ces familles et découvert un nouveau mécanisme de cancer colorectal héréditaire : une méthylation transmis- sible du promoteur du gène MSH2.
«Le promoteur d’un gène (une courte séquence d’ADN souvent en amont du gène) est comme un interrupteur qui contrôle l’activation ou l’inactivation du gène, explique le Dr Leung, et sa méthylation le verrouille en position d’inactivation permanente, ce qui neutralise le gène. » La méthylation du promoteur du gène MLH1, survenant comme un événement somatique c’est-à-dire seulement dans les cellules tumorales, est responsable de la majorité des cancers colorectaux sporadiques associés à une instabilité des microsatellites. Une méthylation du promoteur du gène MLH1 a également été observée dans les cellules germinales de quelques individus censés être affectés de cancer colorectal héréditaire, mais cette épimutation n’a jamais été retrouvée chez d’autres membres de leur famille, et la transmission d’une modification épigénétique chez l’homme n’a jamais été observée.
«On croyait que la méthylation ne pouvait pas être transmise à la descendance et qu’elle ne pouvait donc causer aucune maladie héréditaire, explique le Dr Leung, parce que le profil de méthylation de nos cellules est effacé et reprogrammé durant la formation des cellules germinales et de nouveau durant le développement embryonnaire précoce. »
L’équipe a recherché la présence de la méthylation chez 31 familles affectées de cancer colorectal familial avec instabilité des microsatellites, qui ne présentaient aucune mutation décelable des gènes MMR.
Sur trois générations successives.
«Nous avons constaté, dans une famille, la transmission, sur troisgénérations successives, d’une méthylation du promoteur du gène MSH2 chez plusieurs membres de la famille. Trois individus porteurs de méthylation ont déjà développé un cancer colorectal précoce ou des cancers de l’utérus. »«Cela représente le premier cas documenté de méthylation transmissible responsable d’un cancer héréditaire chez les humains. » «Fait plus important: nous avons découvert que la méthylation n’est pas présente de manière égale dans toutes les cellules du corps (état mosaïque). La méthylation est abondante dans les cellules du côlon, ce qui cause la prédisposition au cancer du côlon; mais elle est rare dans les cellules sanguines, et leur existence est donc difficilement décelable au moyen du test sanguin standard utilisé pour effectuer le test génétique.»
Les chercheurs soulignent les profondes implications, pour le diagnostic génétique des autres syndromes héréditaires, de la survenue de ce type de transmission épigénétique germinale dans d’autres gènes.
« Nature Genetics », 3 septembre 2006, doi : 10.1038/ng1866.
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