SI LES PRIMATES et les autres animaux semblent posséder une certaine compréhension de l'esprit (autrement dit, une compréhension du comportement des autres), le concept de « croyance » semble traduire une aptitude spécifiquement humaine. Percevoir chez autrui une erreur de jugement - ce que les psychologues appellent une « fausse croyance » - est l'expression la plus claire de la compréhension d'un aspect crucial de l'esprit : sa subjectivité et sa capacité à manipuler l'information.
Imaginons la situation suivante : une petite fille, qui a mangé en cachette le dernier biscuit d'une boîte, voit son frère plonger la main dans la boîte. Pour saisir la signification de ce comportement, il lui faut comprendre qu'il croit - à tort - que la boîte contient encore des biscuits. Cette aptitude à comprendre qu'une personne pense une chose, qui, en réalité, se révèle fausse, et à agir sur la base de cette « fausse croyance » est généralement considérée comme une pierre angulaire de la compétence sociale. Mais quelles sont les origines de cette aptitude ?
Pour les psychologues, la question fait débat depuis près de vingt ans.
Beaucoup pensent que cette compétence ne s'acquiert qu'à l'âge de 4 ans ; à cet âge surviendrait un changement fondamental dans la compréhension du comportement d'autrui : l'enfant commence à réaliser que les états mentaux, tels que les croyances, ne sont pas des reflets directs de la réalité, mais des représentations qui peuvent être exactes ou, au contraire, erronées.
Des marionnettes.
L'argument en faveur du passage d'une théorie non représentative de l'esprit vers une théorie représentative découle en partie du fait qu'un jeune enfant (âgé de 3 ans) échoue lorsqu'on le soumet à un test qui lui demande de comprendre que l'autre peut avoir une « fausse croyance ». Dans ce type de test, une histoire est racontée à l'enfant à l'aide de marionnettes, puis on l'interroge sur ce que va faire l'une d'entre elles.
D'autres chercheurs ont néanmoins avancé qu'une théorie représentative de l'esprit est présente beaucoup plus tôt, dès l'âge de 3 ans et peut-être même 2 ans. Ces chercheurs se fondent sur des tests qui ne consistent pas à interroger l'enfant, mais à examiner son regard. (On lui demande où la marionnette va regarder et on étudie où se porte le regard de l'enfant.) Kristine Onishi (université McGill, Montréal) et Renée Baillargeon (université de l'Illinois) ont testé 56 nourrissons de 15 mois en utilisant un test de fausses croyances non verbal et beaucoup plus simple.
Une tranche de melon en plastique.
Dans ce test, des nourrissons ont été d'abord familiarisés avec le spectacle d'un adulte qui venait prendre un jouet (une tranche de melon en plastique) dans une boîte jaune. Puis, en l'absence de cet adulte, le jouet a été placé dans une autre boîte, de couleur verte. L'adulte revenait alors et venait, comme auparavant, chercher le jouet dans la boîte jaune. Les chercheurs ont constaté que les nourrissons fixaient leur regard plus durablement sur ladite boîte jaune. Cette observation, jointe à des tests de contrôle, tendent à indiquer que l'enfant avait perçu le jouet comme étant la « cible » de l'adulte, qu'il s'attendait que celui-ci le cherche à son nouvel emplacement et qu'il a donc réagi en portant une attention accrue à ce que faisait l'adulte en voyant qu'il le cherchait là où il ne se trouvait pas.
« Les résultats étaient positifs, confortant l'idée que, dès un jeune âge, les enfants font appel à des états mentaux - objectifs, perceptions et croyances - pour expliquer le comportement des autres », concluent les psychologues.
« La nouveauté de nos résultats est qu'ils montrent que des nourrissons (âgés de 15 mois) sont capables de comprendre que d'autres personnes agissent en fonction de la représentation qu'elles se font du monde, et pas seulement en fonction de ce qu'il est », explique au « Quotidien » le Dr Kristine Onishi.
A terme, des implications pour l'autisme.
« Pour l'instant, notre étude n'a pas d'implications cliniques, car nous disposons d'un seul essai par enfant, ce qui n'est évidemment pas suffisant pour une évaluation approfondie. Cependant, nous pensons qu'on pourrait utiliser une forme de notre test non verbal, conjointement avec d'autres mesures, pour évaluer la compréhension des enfants vis-à-vis des autres. Cela pourrait être utile pour diagnostiquer les enfants autistes qui sont souvent décrits comme possédant une théorie déficiente de l'esprit (déficit pour comprendre les autres) », ajoute le Dr Onishi.
« Science », 8 avril 2005, p. 255.
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