Streptocoque A : le caractère bénin ou sévère de l'infection dépend des allèles HLA

Publié le 18/11/2002
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Les « bactéries mangeuses de chair », comme on les appelle populairement, ou streptocoques du groupe A (ou S. pyogènes), sont redoutables, car elles peuvent causer une gangrène (ou fasciite nécrosante, d'où leur surnom évocateur), ou encore un syndrome de choc toxique streptococcique, deux formes invasives dont la mortalité est de 30 à 80 % en dépit du traitement.

Toutefois, la même souche de streptocoque A peut ne provoquer qu'une angine, ce qui est d'ailleurs le plus souvent le cas, ou une infection invasive bénigne comme une bactériémie sans choc toxique.
Mais pourquoi donc certains individus sortent-ils indemnes d'une infection à streptocoque A tandis que d'autres succombent rapidement à une affreuse maladie ?
Une équipe, dirigée par le Dr Malak Kotb (Veterans Affairs Medical Center, Memphis), a commencé à répondre à cette question. Dans une précédente étude, ils ont montré que les individus qui ont de faibles taux d'anticorps (AC) antistreptococciques protecteurs dans le plasma ont un grand risque de développer une infection invasive. Mais une fois que l'infection invasive est là, ces AC antistreptococciques n'ont aucun effet sur la sévérité.
Les chercheurs ont maintenant découvert que d'autres facteurs variables de l'hôte, des facteurs immunogénétiques, influencent la sévérité de l'infection invasive. Leur voie de recherche a été inspirée par les observations suivantes.

L'importance de la réponse inflammatoire

La gravité de l'infection invasive n'est pas tant due à la bactérie elle-même qu'à l'importance de la réponse inflammatoire qu'elle déclenche chez l'hôte, par le biais de ses superantigènes (SAg).
Les patients qui ont tendance à produire des taux élevés de cytokines inflammatoires en réponse aux superantigènes streptococciques courent beaucoup moins de risques de développer une maladie invasive sévère que ceux qui produisent des taux faibles.
Les chercheurs ont donc émis l'hypothèse que des variations individuelles dans les facteurs immunogénétiques qui régulent les réponses aux superantigènes pourraient être des déterminants importants de la sévérité de l'infection.
« Nous nous sommes concentrés sur la variation génétique des molécules HLA de classe II car ces molécules sont des récepteurs pour les superantigènes et ils sont très variables dans la population humaine », explique au « Quotidien » le Dr Kotb.
Les chercheurs ont examiné des gènes HLA-II (DRB1, DQA1, DQB1) dans deux populations de l'Ontario, l'une composée de 269 patients affectés d'infection invasive (avec ou sans maladie systémique sévère [MSS] et avec ou sans fasciite nécrosante [FN]), l'autre de 258 sujets témoins.
Plusieurs haplotypes ont été trouvés différemment représentés selon les sous-groupes. Ainsi, par exemple, la fréquence de l'haplotype DRB1*1501/DQB1*0602 est plus faible dans le groupe avec MSS que dans le groupe infection invasive sans MSS (11 % contre 33 %, comparé à 18 % dans le groupe témoin), ce qui suggère que cet haplotype confère une forte protection contre les manifestations systémiques sévères de l'infection invasive. Cet haplotype ne protège pas cependant contre la fasciite nécrosante.
La fréquence de l'haplotype DRB1*14/DQB1*0503 est plus élevée dans le groupe avec MSS que dans le groupe sans MSS (14 % contre 4 %), et les chercheurs ont découvert que cet haplotype confère un grand risque de manifestations systémiques sévères, uniquement en l'absence de fasciite nécrosante. Enfin, l'haplotype DRB1*03/DQB1*0201 confère une protection contre la fasciite nécrosante.
« Nous montrons que, même si la bactérie circule dans le sang du patient (maladie invasive), ceux qui ont les haplotypes protecteurs sont protégés du choc toxique streptococcique, tandis que ceux qui n'ont pas cet haplotype protecteur sont à risque de choc, et ceux qui ont les haplotypes à risque sont à risque élevé de choc toxique streptococcique. »
Pour consolider ces résultats statistiques, les chercheurs ont conduit des études fonctionnelles afin d'étudier la base moléculaire de ces associations. Les patients qui ont l'haplotype protecteur contre le choc toxique (DRB1*1501/DQB1*0602) ont effectivement une réponse inflammatoire déclenchée par les SAg qui est bien plus faible que ceux qui ont des haplotypes à risque ou neutres.

HLA et les infections en général

Des associations ont déjà été rapportées entre des allèles HLA et diverses infections (parasitaires, virales et bactériennes). « Mais notre étude est la première qui fait un pas supplémentaire et montre que les haplotypes HLA associés ont un effet direct sur la régulation des réponses prolifératives et cytokines aux superantigènes streptococciques qui sont libérés par la bactérie durant la phase aiguë de l'infection invasive », explique au « Quotidien » le Dr Kotb.
De plus, « cette étude est la première qui signale une association HLA avec un choc médié par une bactérie Gram+, et la première démonstration d'une association HLA avec une maladie médiée par des superantigènes ».

« Nature Medicine » du 18 novembre 2002, DOI : 10.1038/nm800

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7221