VIH et allaitement : la prévention par l'EPO mériterait d'être testée

Publié le 22/10/2002
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Depuis le début de l'épidémie de l'infection à VIH, près de quatre millions d'enfants sont morts de sida. Parmi les 1,5 million d'enfants qui sont actuellement infectés, de un tiers à la moitié ont attrapé le virus par l'allaitement.

Dans les pays riches, les bébés nés de mère contaminée sont nourris au biberon, ce qui évite la contamination par l'allaitement. Dans les pays pauvres, le biberon ne peut pas remplacer le lait maternel car les bébés auraient un risque supérieur de mourir d'une autre infection. L'équilibre entre les bénéfices et les inconvénients de l'allaitement est particulièrement crucial en Afrique sub-saharienne où existent 10,6 millions de femmes infectées par le VIH (les deux tiers du nombre mondial total).

Comment les bébés échappent au VIH ?

Parmi les bébés nés de mère VIH positives, qui échappent à l'infection pendant la grossesse et l'accouchement, 15 % vont se contaminer par l'allaitement. D'où une question essentielle : comment font les 85 % restants pour échapper à l'infection, alors qu'ils boivent de dix à quinze fois par jour et pendant un à deux ans le lait contaminé de leur mère ? Quels sont les mécanismes qui les protègent ? Peut-on exploiter ces mécanismes pour protéger davantage de bébés ? « Nous pensons que l'érythropoïétine (EPO) contenue dans le lait humain est associée à une protection contre l'infection à VIH des bébés nourris au sein part des mères VIH positives », écrivent Melissa Miller et coll. dans le « Lancet ».
On le sait, l'EPO est sécrétée par le rein en réponse à l'hypoxie et stimule la production de globules rouges par la moelle. En cas d'infection ou de maladie chronique, l'anémie provient en partie d'une diminution de l'EPO en réponse à l'hypoxie ; ce type d'anémie répond à l'administration d'EPO recombinante humaine (rHuEPO).
En 1998, l'équipe de Kling a montré que le lait humain contient de grandes quantités d'EPO. Elle a estimé que la quantité d'EPO consommé par un bébé nourri au sein est égale aux doses thérapeutiques basses données contre l'anémie des prématurés. De plus, l'EPO du lait résiste à la digestion dans des conditions similaires à celles du tube digestif du bébé.
En 1999, Ballin et coll. ont montré que la rHuEPO ajoutée aux biberons et, donc, donnée par voie entérale, stimule l'érythropoïèse des prématurés.
L'équipe de Krafft a montré que si la rHuEPO est donnée aux mères allaitantes pour une anémie du post-partum, leur taux d'EPO croît dans le sang et dans le lait.
Donc : il existe de l'EPO dans le lait humain et elle a un rôle dans l'hématopoïèse. Mais ce n'est peut-être pas tout.

Un récepteur de l'EPO dans le grêle

En effet, l'équipe de Juul a montré en 1999 que le récepteur de l'EPO (EPO-R) est exprimé dans les entérocytes du grêle des bébés rats et des bébés humains. Mieux : quand les cellules intestinales sont exposées à la rHuEPO, elles migrent plus vite, le tractus est composé de cellules plus jeunes et l'intégrité du tube digestif est améliorée. Mieux encore : on sait que l'association de TNF alpha et de cyclohexamide entraîne une apoptose de ces cellules ; mais si les cellules sont prétraitées par la rHuEPO, l'apoptose est réduite.

EPO produite par la glande mammaire

Par ailleurs, les enfants prématurés qui reçoivent de la rHuEPO ont une moindre incidence d'entérocolite nécrosante que les autres.
Enfin, Juul et coll. ont montré que les cellules épithéliales mammaires humaines expriment du mRNA de l'EPO, ce qui prouve que l'EPO du lait est produite, au moins en partie, par la glande mammaire elle-même.
Il faut se rappeler d'un intéressant travail de l'équipe de Coutsidis, qui a montré que le risque de contamination à trois mois des enfants nourris exclusivement au sein est de 45 % plus faible que celui des enfants nourris au biberon ou à la fois au sein et au biberon. Ce qui suggère que ce qui favorise l'intégrité du tube digestif est important dans la prévention de la transmission du virus par l'allaitement.

Ressemblance endocytes-entérocytes

On le sait : les endocytes qui bordent la glande mammaire sont semblables aux entérocytes. Si l'EPO a, sur les endocytes mammaires, les mêmes effets bénéfiques (promotion de la croissance, de la cicatrisation, résistance aux agressions) que sur les entérocytes, alors la concentration en EPO du lait maternel pourrait être liée à la charge virale des mères VIH positives ; et donc être liée à la transmission mère-enfant du virus par l'allaitement.
« Nous pensons que l'EPO dans le lait humain a un rôle de prévention de la transmission mère-enfant du VIH par l'allaitement. L'EPO du lait pourrait maintenir l'intégrité de l'épithélium mammaire - et, ainsi, réduire la charge virale dans le lait - ou bien maintenir l'intégrité de l'épithélium intestinal du bébé - et donc empêcher le virus d'être infectieux - ; ou bien il pourrait y avoir combinaison des deux mécanismes », notent les auteurs.
L'EPO n'est qu'une des nombreuses cytokines et facteurs de croissance contenus dans le lait humain. « Pourtant, nous estimons que le rôle de l'EPO est important étant donné les effets suppresseurs du VIH sur la sécrétion d'EPO par les reins. Ainsi, les mères infectées par le VIH pourraient produire un lait déficient en EPO, au moins à certains stades de la maladie. » La rHuEPO est disponible, ce qui fait qu'elle pourrait être testée chez les mères infectées et leur bébé.
« Pour tester notre hypothèse, les effets de la rHuEPO parentérale aux mères infectées dans le post-partum immédiat pourrait être étudiée. » (On sait déjà, grâce aux travaux de Krafft, que cela augmente le taux d'EPO dans le lait).
« Si notre hypothèse est correcte, un traitement par EPO de la mère ou du bébé ou des deux pourrait aider à prévenir la transmission du VIH », concluent les auteurs.

« Lancet » du 19 octobre 2002, pp. 1246-1248.

Dr Emmanuel de VIEL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7204