Allergies : une nouvelle explication immunologique à l'hypothèse de l'hygiène

Publié le 18/04/2002
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De notre correspondante
à New York

La fréquence des maladies allergiques a considérablement augmenté au cours des vingt à trente dernières années, mais bien plus dans les pays industriels que dans les pays en voie de développement, et davantage dans les villes que dans les zones rurales d'un même pays.

Entre les divers facteurs environnementaux qui pourraient expliquer cette augmentation, un seul semble tenir la route : les infections dans l'enfance sont inversement associées aux allergies atopiques (asthme, rhinoconjonctivite et eczéma).
Il a donc été proposé que l'absence d'infections intenses dans les pays industriels, due à une meilleure hygiène, à la vaccination et à l'antibiothérapie, pourrait altérer le système immunitaire de telle façon qu'il répond de manière inappropriée aux substances inoffensives.
Cette prétendue « hypothèse de l'hygiène » a reçu une explication immunologique qui repose essentiellement sur l'équilibre entre les réponses immunes Th1 (associées aux infections virales et bactériennes et aux maladies auto-immunes) et les réponses immunes Th2 (associées aux infections helminthiques et aux maladies allergiques). Il a été proposé que les infections bactériennes et virales pendant la jeune enfance dirigent le système immunitaire en maturation vers les réponses TH1, lesquelles contrebalancent les réponses des cellules Th2 pro-allergiques.
Par conséquent, la faible exposition aux virus et aux bactéries pendant la jeune enfance résulterait en une stimulation insuffisante des cellules Th1, lesquelles ne contrebalancent pas l'expansion des cellules Th2, ce qui entraîne une prédisposition à l'allergie.
Cette explication immunologique a influencé la direction des stratégies pour prévenir les maladies allergiques. Toutefois, cette explication ne s'accorde pas avec de récentes données sur les maladies auto-immunes et les infections helminthiques (vers parasites), expliquent Yazdanbakhash (Leiden University Medical Center, Pays-Bas) et coll. dans « Science ».

Diabète de type 1 et infections helminthiques

La prévalence du diabète de type 1, une maladie auto-immune médiée par la réponse Th1, est aussi en hausse depuis quelques décennies, et il semble y avoir une association entre le diabète de type 1 (réponse Th1) et l'asthme (réponse Th2) au niveau de la population. Cela suggère qu'il existe une cause immunologique commune à ces hausses, qui ne peut pas être simplement expliquée par le déséquilibre entre les réponse Th1 et Th2.
Les infections helminthiques, qui sont associées à des réponses stimulées par les cytokines de type Th2 (taux élevés d'IgE, éosinophilie, et mastocytose), ne sont pourtant pas associées à l'allergie. « Il est donc clair qu'une forte réponse Th2 n'est pas le seul facteur qui précipite une attaque allergique », notent les chercheurs.
Ces chercheurs ont réexaminé les diverses études sur la relation entre les infections helminthiques et l'allergie. Ils dégagent plusieurs points. La prévalence des infections parasitaires est inversement associée à la prévalence de l'asthme. Malgré la sensibilisation IgE aux allergènes de l'environnement, les sujets infectés par les helminthes sont protégés contre la dégranulation des mastocytes et les réponses inflammatoires dans les organes affectés. Seules les infections helminthiques importantes protègent contre l'allergie.
Ils proposent ainsi une nouvelle explication immunologique. Au cœur de celle-ci, le réseau anti-inflammatoire. Les chercheurs soulignent que les infections parasitaires chroniques, et particulièrement helminthiques, sont associées à une faible réactivité des cellules T, et que cette immunosuppression serait due à des molécules régulatrices négatives comme l'IL10 et le TGF-bêta.
Puisque les allergies sont des maladies inflammatoires médiées par des réponses de type Th2, « la présence d'un robuste réseau régulateur anti-inflammatoire, caractérisé par des taux élevés d'IL10 et de TGF-bêta produits par les cellules présentant l'antigène et/ou les cellules T régulatrices, pourrait aider à prévenir la cascade de réactions qui conduit à l'inflammation allergique », estiment les auteurs.

Rougeole et tuberculose

Au-delà des infections helminthiques, d'autres infections chroniques sont aussi associées à une immunosuppression, comme la rougeole et la tuberculose, deux infections qui ont été inversement associées à l'atopie dans les régions tropicales. Il est probable, prédisent les chercheurs, qu'une provocation antigénique fréquente d'une variété d'organismes pathogènes soit nécessaire pour le développement équilibré du système immunitaire et la prévention des maladies inflammatoires et allergiques.
« Toutefois, l'axe pro- ou anti-inflammatoire avec un réseau robuste de cellules T régulatrices doit être considéré comme jouant un rôle central dans l'équilibre et la prévention des maladies TH1 et/ou TH2. » Cette explication immunologique offre de nouvelles directions thérapeutiques et de recherche. Les stratégies préventives contre l'asthme « devraient se concentrer sur l'induction d'une réponse anti-inflammatoire plutôt que sur l'induction d'une réponse TH1 spécifique de l'allergène », notent-ils.

« Science » 19 avril 2002, p. 490.

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7111