1995 est certainement une année à retenir, celle du premier séquençage complet d'un génome bactérien, celui d' Haemophilus influenzae par Fleischmann et ses collègues de TIGR (The Institute for Genomic Research, Rockville, Etats-Unis). Depuis, on peut dire que la réalisation du séquençage d'un génome s'est considérablement accélérée.
Un séquençage automatisé
Au cours des dernières années, plus de cent génomes de micro-organismes, essentiellement des bactéries, ont été complètement séquencés. L'utilisation d'appareils automatiques de séquençage a permis une accélération spectaculaire de ces projets : la majorité du génome d' Enterococcus faecium a ainsi été décryptée en un seul jour dans le département of Energy's Joint Genome Institute (Californie, Etats-Unis) mais les étapes difficiles de finition de ce projet n'ont toutefois pas été prises en compte.
Une liste quasi exhaustive des micro-organismes - bactéries, parasites ou virus - complètement séquencés est disponible en ligne sur le site TIGR. On y trouve les procaryotes séquencés classés par ordre alphabétique, l'identité de la souche, la taille du génome en mégabase (millions de bases), l'institution dans laquelle le travail a été exécuté et la publication princeps qui y fait référence.
Les applications directes et cliniques de ces travaux se résument difficilement. Selon l'équipe de l'Institut Pasteur dirigée par Frank Kunst, l'utilisation de la génomique microbienne pour combattre les maladies infectieuses est une urgence compte tenu de l'émergence de souches résistantes aux antibiotiques connus. Le scénario catastrophe d'une pandémie liée à une bactérie résistante ne peut pas être écarté. Il s'agit donc, grâce à ces techniques nouvelles, de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques, antibiotiques et vaccins.
« Mais, explique le Dr Frank Kunst, responsable du programme européen de séquençage de Bacillus subtilis de 1993 à 1999, on ne peut comprendre les applications du séquençage du génome bactérien qu'en regardant génome par génome. Chaque micro-organisme est spécifique et il faut parfois 5 à 10 ans pour terminer l'analyse génomique d'une bactérie dont le génome est constitué d'un chromosome, occasionnellement de deux, et parfois de plasmides. »
Toutefois, la taille du chromosome des bactéries varie de 0,5 à 8 mégabases : le génome d' Escherichia coli comporte environ 4 300 gènes, l'homme à peine 10 fois plus. « Plus la taille du chromosome est grande plus il existe de systèmes d'adaptation, reprend le Dr Kunst. Ainsi, une bactérie intracellulaire comme Mycoplasma dont les conditions de croissance sont peu soumises à l'influence de l'environnement varie peu. Son chromosome ne comporte que 0,5 mégabase. A l'inverse, la taille du chromosome de Pseudomonas aeruginosa, germe extracellulaire, est de 6 mégabases. »
Bien qu'on ne puisse pas résumer de façon simple et linéaire les applications de la génomique bactérienne, le développement de nouvelles classes d'antibiotiques est une option sérieuse de la recherche dans ce domaine. Des sociétés européennes ont pris des brevets sur l'utilisation d'environ 50 gènes de Bacillus subtilis. Toutes les grandes firmes pharmaceutiques travaillent sur la détection des gènes essentiels, c'est-à-dire ceux qui permettent la survie des organismes, et permettent de concevoir des inhibiteurs des protéines produites par ces gènes afin de stopper la croissance bactérienne. Les techniques sophistiquées permettant le séquençage du génome ne sont plus réservées aux institutions académiques, mais bon nombre de laboratoires de biologie moléculaire les utilisent. L'identification de cibles potentielles qui doivent répondre à plusieurs critères :
- la cible doit être présente chez l'ensemble des organismes ; elle doit être absente chez l'homme ;
- elle doit être indispensable à la viabilité ou à la croissance bactérienne ;
- elle doit être impliquée dans le processus infectieux.
Trois cibles antibiotiques
Aujourd'hui, trois cibles moléculaires bactériennes (1) ont été identifiées et particulièrement exploitées dans le développement de nouveaux antibiotiques : l'aminoacyl-tRNA synthétase, la polypeptide déformylase et sur les enzymes de biosynthèse des acides gras.
Développés dans les années 1990, les inhibiteurs de l'aminoacyl-tRNA synthétase représentent le premier groupe d'antibiotiques dérivés de la génomique bactérienne. L'aminoacyl-tRNA synthétase est une enzyme indispensable à la synthèse protéique bactérienne puisqu'elle permet de catalyser la réaction qui conduit à une liaison chimique entre un acide aminé et une molécule de tRNA. Il existe environ 20 aminoacyl-tRNA synthétases dans un organisme procaryote, une pour chaque acide aminé. La mupirocine, un antibiotique commercialisé sous le nom de Bactriban, en est le premier représentant : elle inhibe l'isoleucine-tRNA synthétase. On peut penser que le développement d'autres inhibiteurs de ces tRNA-synthétases auront les mêmes effets antibactériens, ce qui signifie que cette nouvelle famille représenterait à elle seule 20 nouveaux antibiotiques. GlaxoSmithKline mène une étude de phase III sur cette famille.
De la même façon, la polypeptide déformylase (Pdf) intervient dans la synthèse des protéines bactériennes ce qui en fait une cible thérapeutique nouvelle. Certaines structures de la Pdf d' Escherichia coli sont d'ores et déjà disponibles. On connaît l'actinonine, un antibiotique naturel qui inhibe la Pdf mais son utilisation clinique de l'actinonine ou de ses dérivés s'est avérée difficile pour des raisons pharmacocinétiques. En revanche, un screening de chélateurs de métaux a permis l'identification d'un nouvel inhibiteur de la Pdf, le BB-3497, qui s'est avéré efficace dans les infections à MRSA, à VRE et à certains germes à Gram-positif.
Enfin, la bactérie étant incapable d'utiliser des acides gras de son environnement, les produit de novo. L'inhibition de la biosynthèse des acides gras constitue donc une autre cible de recherche. Bien que l'on connaisse déjà des antibiotiques qui agissent sur cette voie (isoniazide, triclosan, diazoboroines...), la génomique a permis de conduire rapidement à l'identification d'enzymes clefs de la biosynthèse des acides gras. Chez les mammifères, cette synthèse n'est réalisée que par une seule enzyme (FAS, pour fatty acid synthetase) alors que chez les bactéries, de nombreuses enzymes « plus discrètes » interviennent sur cette voie, certaines ayant des séquences communes avec FAS de l'homme. Cette voie de recherche serait encore sous exploitée pour chercher de nouvelles cibles thérapeutiques.
L'analyse génomique devrait être également très utile à l'identification de produits de gènes (protéines et polysaccharides) nécessaires au développement de nouveaux vaccins. L'étape clef pour le développement de vaccins vivants est d'identifier les gènes non essentiels à la survie du pathogène mais qui jouent un rôle majeur dans sa virulence ou son « fitness ». La délétion de tels gènes permettrait d'obtenir des souches non virulentes. A titre d'exemple, la délétion du gène clpC de listéria monocytogènes impliqué dans sa survie en phase stationnaire réduit considérablement sa virulence. Des vaccins peuvent également être produits à partir d'un composé du pathogène, par exemple des protéines de surface, antigéniques.
(1)McDexitt D. et Rosenberg M.
Exploiting genomics to discower new antibiotics.Trends in Microbiology 2001;9 : 611-617.
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