14e Congrès de la Société française de rhumatologie 19-21 novembre 2001, Paris CNIT - la Défense

La dégénérescence et la hernie discales ne sont pas seulement d'origine traumatique

Publié le 18/11/2001
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LE QUOTIDIEN DU MEDECIN :
Le mécanisme de formation de la hernie discale semble être remis en question. Quelles sont les hypothèses physiopathogéniques les plus récentes ?
Dr François RANNOU : Jusque dans les années quatre-vingt-dix, on considérait que le disque intervertébral (DIV) était un gros ligament et que la hernie discale apparaissait à la suite de traumatismes entraînant brutalement une irruption de matériel discal responsable d'une compression radiculaire. C'est ce que l'on pourrait appeler l'hypothèse mécaniciste. Cette hypothèse était insuffisante pour expliquer le rôle bénéfique des corticoïdes locaux, les tableaux cliniques de lombosciatique sans hernie discale et l'absence de corrélation entre l'amélioration clinique des patients et la disparition de la hernie discale à l'imagerie.
En fait, depuis les années quatre-vingt-dix - quatre-vingt-quinze, on s'est aperçu que le DIV contenait des cellules métaboliquement actives. De plus, l'étude du contenu biochimique de DIV dégénérés ou provenant de patients opérés pour lombosciatique par hernie discale a permis de mettre en évidence la présence de facteurs et de médiateurs de l'inflammation et de la dégradation des protéines matricielles (interleukine 1, prostaglandine E2, phospholipase A2, monoxyde d'azote, métalloprotéases). L'hypothèse d'une origine biochimique et biologique des discopathies a pu alors être évoquée.

La dégénérescence précède la hernie

Les cellules présentes au sein du DIV jouent probablement un rôle important dans la survenue d'une dégénérescence et secondairement celle d'une hernie discale. On considère aujourd'hui que la dégénérescence discale précède l'apparition d'une hernie discale et que celle-ci n'apparaît qu'exceptionnellement sur un disque sain, par exemple lors de circonstances traumatiques extrêmes.
Mais on ne sait pas pour autant ce qui peut entraîner et dans certains cas accélérer la dégénérescence discale. Les travaux dévolus à la biologie du DIV tentent de répondre à cette question.

Quels sont les mécanismes en cause dans cette dégénérescence discale ?

Ce que découvrent à l'heure actuelle les équipes qui travaillent sur la biologie du DIV est du même ordre que ce que l'on a découvert il y a quinze ans dans l'arthrose lorsque l'on s'est aperçu que les chondrocytes étaient des cellules non pas inertes mais actives, qui synthétisaient des protéines matricielles, des cytokines pro-inflammatoires et des métalloprotéases, ce qui pouvait expliquer les phénomènes biochimiques observés au cours de l'arthrose.


Avec le DIV, on est un peu dans le même cadre, avec une différence non négligeable, l'environnement : dans le disque, il n'y a pas de tissu synovial, le disque sain n'est pas vascularisé, il fonctionne donc davantage en autarcie ; même si les cellules discales sont assez proches des cellules cartilagineuses, l'environnement cellulaire étant différent, il est probable que les mécanismes impliqués ne soient pas tout à fait les mêmes que ceux retrouvés dans l'arthrose.


Un disque moins hydraté à l'IRM

Quand on stimule des cellules discales par une cytokine pro-inflammatoire l'interleukine 1 ß, elles sont capables de synthétiser les principaux agents de l'inflammation et de la dégradation que sont la prostaglandine E2, la stromélysine 1, la phospholipase A2. Sous l'effet de cette cytokine, on observe également une dégradation des protéoglycanes (protéines matricielles), ce qui signifie que les cellules discales peuvent participer à la dégradation du DIV et donc à l'accélération de sa dégénérescence. Il semble également que la stimulation mécanique directe des cellules discales participe à la modulation de la production des protéines matricielles.
L'IRM permet de visualiser l'hydratation du disque, et par ce biais, son état de dégénérescence. Le DIV dégénéré contient en effet moins de protéoglycanes, glycoprotéines très avides d'eau qui assurent l'hydratation du DIV. Le parallèle entre le résultat de l'IRM et la dégénérescence anatomique, histologique et biochimique est une voie de recherche indispensable à développer pour avoir des instruments non invasifs permettant d'apprécier l'état du DIV.

Ces recherches permettent-elles de concevoir de nouvelles pistes thérapeutiques ?

Certains travaux comme ceux de l'Allemand Peter Wehling (Düsseldorf, Allemagne) suggèrent l'utilisation de la thérapie génique par transfert de gènes candidats, pour lutter contre la dégénérescence discale tels que : les antagonistes de certaines cytokines pro-inflammatoires (IL1 et TNF-a), des inhibiteurs des métalloprotéases ou certains facteurs de croissance. Il a déjà réalisé une étude de faisabilité de thérapie génique sur des cellules discales dans le laboratoire de Chris Evans (Pittsburgh, Etats-Unis). Il s'agit dans ce cas de modifier les cellules discales pour leur permettre de limiter les phénomènes inflammatoires et de dégradation des protéines matricielles.


Un travail récent a montré que la transfection

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de TGF bêta (facteur de croissance) chez le lapin entraîne une augmentation significative de la production de protéoglycanes. C'est un premier pas vers le contrôle

in vivo

de la dégénérescence discale. La dégradation du disque serait ainsi stoppée, le patient conservant sa hauteur discale, le disque étant de nouveau capable de supporter les contraintes mécaniques.


Une autre approche est au contraire d'accélérer la dégénérescence discale avec l'objectif de réaliser une véritable chimionucléolyse par l'injection de métalloprotéases.


Dans la discopathie destructrice rapide

Tout ces travaux effectués chez l'animal pourraient trouver des applications également chez des patients atteints de scoliose, chez qui le disque est dégradé de manière asymétrique. De même, on pourrait prévenir la dégradation des disques sus- et sous-jacents à une arthrodèse. Enfin, dans la discopathie destructrice rapide qui entraîne une dégénérescence accéléré du DIV en quelques mois, il serait intéressant de pouvoir stopper la réaction inflammatoire qui détruit le disque.
En revanche, ces travaux ne remettent pas en question la prescription d'AINS dans les pathologies discales puisque l'inflammation est une composante essentielle de la dégénérescence du DIV.

*Dr François Rannou, service de rééducation du Pr M. Revel , hôpital Cochin, Paris et INSERM U530 groupe du Dr M. Corvol et du Dr S. Poiraudeau, faculté des Saints-Pères, Paris.

Dr Annie DUMONCEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7012