Il est vraiment regrettable que les choses instituées, sous le seul prétexte qu’elles le sont, soient protégées jusqu’à la saint glinglin de toute remise en question. Elles sont comme enfouies dans une boîte cadenassée, dont on aurait jeté la clef à la mer. Voici un exemple criant de ce type d’ineptie. Lorsqu’un médecin prescrit un somnifère il ne doit pas mettre sur sa prescription « à renouveler » au-delà d’un mois comme il le fait pour d’autres médicaments (anti-hta, anti-chol, anti-diabète, etc.), car son ordonnance ne sera pas validée par le pharmacien. Et cela dure depuis l’arrêté du 7 octobre 1991, fixant la durée maximale de prescription de certains hypnotiques à 4 semaines.
L’idée du législateur était d’amener le patient, consommateur de somnifères à voir son médecin tous les trente jours afin que ce dernier lui tienne un discours visant à le convaincre que l’usage de son médicament pour trouver le sommeil n’est pas judicieux et peut se révéler, par un trop long usage, néfaste pour sa santé… En espérant qu’il finisse par accepter un jour de s’en séparer. Mais, dans le même temps et d’un autre côté, les caisses s’ingéniaient, dans un grand mouvement visant à réduire les actes, à inciter les médecins à faire les renouvellements de médicaments à trois mois (création de la boîte de 90 cp, 1 € prélevé/trimestre au lieu d’1€mois)… Le patient préférant naturellement payer 0,50 € sur une boîte de 90 que 3 fois 0,50 € sur chaque boîte de 30.
Donc petit problème et difficulté pour être en harmonie avec ces deux directives ! La solution s’est tacitement installée. Tous les praticiens de France et de Navarre ont trouvé la parade pour le résoudre : Ils font chaque trimestre, en plus de l’ordonnance « à renouveler 2 fois », deux ordonnances bidon du somnifère, postdatées pour que le patient n’ait pas à revenir chaque mois. Et le tour est joué. Cette pratique est bien entendue illégale* ! Mais, les caisses complices, se montrent bienveillantes… boîtes de 90 obligent.
Chacun s’exécute ainsi et plus personne ne se pose de question. Il est évident que ce rituel de l’ordonnance bidon ne peut avoir le moindre effet positif sur le sevrage du patient. Du reste, même en le faisant venir tous les mois, on peut fortement douter que cela aurait permis des désaccoutumances !
Addicts à leur hyptnotique
Généralistes et psychiatres, ont tous dans leurs fichiers, un bon nombre de patients addicts à leur hypnotique du 1er janvier au 31 décembre et ceci depuis des lustres ? Il est évident aussi que ça barbe les médecins de faire ces innombrables ordonnances postdatées. Bien sûr, les praticiens comprennent parfaitement qu’il est préférable que le pharmacien ne délivre pas en une fois 90 comprimés d’un somnifère, mais, quel que soit le nombre d’ordonnances mises en circulation, il faut reconnaître une bonne fois pour toutes que c’est toujours le pharmacien qui garde la main sur la délivrance !
L’interrogation est alors la suivante : combien temps encore continuera-t-on à laisser en vigueur ce système d’une inefficacité criante ? Il y a quelques années, un confrère de mon secteur avait tenté en collaboration avec son pharmacien local une petite expérimentation qui, à leurs dires, fonctionnait assez bien. Programme établi sur 10 mois. Fractionnement du dosage d’un somnifère en 10 parties égales. Préparation de gélules magistrales en officine. Le premier mois, le patient prend les 9/10 de son somnifère. Le second mois, les 8/10, le troisième, les 7/10e, le quatrième les 6/10e. Etc. jusqu’au 10e mois.
Il n’est pas nécessaire que le patient soit informé du « contenu » du protocole. On se contente de lui annoncer qu’il prendra désormais un comprimé équivalent d’une nouvelle substance inoffensive et non inductrice de dépendance. Si tout se passe bien, il se retrouve après quelques mois avec une dose réduite du somnifère, voire, dans le meilleur des cas avec un placebo.
Évidemment rien de très futé dans cette approche, dont le premier mérite est d’avoir été expérimentée (en petite série bien sûr), le second étant de ne pas être dénué de bon sens. Cela va de soi, il serait encore plus raisonnable que les laboratoires fabriquant ces molécules acceptent le principe de ce type de réduction progressive en façonnant eux-mêmes des comprimés de ces différents dosages, dont les patients intéressés pourraient de leur propre initiative demander la prescription à leur médecin. Mais, ceci est certainement une autre affaire…
Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr .