Une étude publiée dans la revue « Science » apporte de nouvelles données incriminant le virus Epstein-Barr (EBV) dans le développement de la sclérose en plaques (SEP). Si le lien entre l’EBV et la SEP était bien établi, avec une séroprévalence pour l’EBV de 99,5 % chez les patients SEP comparé à 94 % en population générale, la causalité restait cependant incertaine.
La SEP est une maladie auto-immune démyélinisante du système nerveux central débutant chez l’adulte jeune (trois femmes pour un homme) et dont l’étiologie reste incertaine. Elle résulterait d’une interaction complexe entre des facteurs génétiques protecteurs et de risque (comme l’homozygotie pour l’HLA-DR15 qui triple le risque) et de multiples facteurs de risque environnementaux tels que l’insuffisance en vitamine D et la faible exposition au soleil, le tabagisme et une infection notamment par le virus EBV.
L’EBV est un herpèsvirus humain transmis par la salive, à l’origine de plusieurs maladies dont la mononucléose infectieuse. Après infection, il reste présent sous une forme latente dans les lymphocytes B pendant toute la vie.
Ici, l’étude dirigée par le Dr Aberto Ascherio (Harvard Medical School) [1] s’est fondée sur les plus de 10 millions de jeunes adultes qui étaient en service actif dans l’armée américaine de 1993 à 2013. Ceux-ci étaient soumis à un test sanguin initial puis répété tous les deux ans durant leur service. Les chercheurs ont analysé les taux d’anticorps anti-EBV (anti-EBNA) dans les échantillons sanguins conservés chez 801 militaires qui ont développé une SEP durant leur service, ainsi que chez 1 566 militaires témoins.
Un risque de SEP multiplié par 32 après séroconversion
Parmi ces 801 adultes ayant développé une SEP, 35 étaient initialement séronégatifs pour l’EBV. De façon remarquable, 34 de ces 35 individus ont présenté une séroconversion EBV avant la survenue de la SEP, et ceci dans un délai moyen estimé à 7,5 ans. De plus, les taux sanguins de la chaîne légère des neurofilaments (NfL) - un marqueur de dégénérescence axonale des neurones - n’augmentaient qu’après la séroconversion EBV, ce qui suggère que l’infection précède aussi les premières anomalies neuronales détectables de la SEP. Seulement un cas de SEP est survenu chez un individu resté EBV-séronégatif sur le dernier échantillon recueilli un an avant le début de la SEP.
Comparé au taux de séroconversion EBV de 97 % (34/35) chez les adultes qui ont développé une SEP au cours du suivi, le taux de séroconversion chez ceux qui n’ont pas développé de SEP est de 54 %, soit nettement inférieur. Ainsi, rapportent les auteurs, après séroconversion EBV, le risque de SEP est multiplié par 32. Une séropositivité EBV initiale était associée à un risque de SEP 26 fois plus élevé.
Autre constat important, les chercheurs ont trouvé que le risque de SEP n’est pas majoré après une infection par d’autres virus, y compris le cytomégalovirus (CMV) lui aussi transmis par la salive.
« Nous en déduisons que l’EBV est probablement la principale cause de la SEP, explique au « Quotidien » le Dr Kjetil Bjornevik (Harvard T. H. Chan School of Public Health, Boston). Nous avons constaté que l’EBV augmente considérablement le risque de SEP et que l’infection EBV précède non seulement les premiers symptômes de la maladie, mais aussi les premiers signes pathologiques qui peuvent survenir plusieurs années avant les premiers symptômes. Notre étude est la première à fournir des preuves irréfutables de causalité, car ces résultats ne peuvent être expliqués par aucun facteur de risque connu. »
Dans un article associé (2), Robinson et al. (Université de Stanford) nuancent un peu ces propos : « l’infection par l’EBV est probablement nécessaire, mais non suffisante, pour déclencher le développement de la SEP, écrivent-ils. L’infection est l’étape pathogénique initiale. » Selon eux, il existerait plusieurs mécanismes possibles liant l’infection EBV et le risque de SEP, notamment le mimétisme moléculaire - par exemple, une ressemblance entre la protéine de l’EBV et une protéine de la myéline qui déclencherait une réaction auto-immune attaquant la myéline des neurones - et le fait que les lymphocytes B infectés par l’EBV se transforment et pourraient devenir pathogéniques.
Perspectives thérapeutiques
« Si l’EBV est la principale cause de la SEP, alors la maladie pourrait être prévenue en empêchant l’infection par l’EBV, par exemple avec un vaccin », laisse entrevoir le Dr Bjornevik. Un espoir d’éradication que veulent partager les commentateurs de l’étude.
En outre, poursuit le scientifique de Harvard, « le fait de cibler le virus avec des médicaments spécifiques à l’EBV pourrait conduire à un meilleur traitement de la SEP. »
Il rappelle l’importance de la supplémentation en vitamine D. Au cours des 20 dernières années, son équipe a publié plusieurs articles montrant qu’un faible taux de vitamine D est associé à un risque accru de SEP. Ces résultats sont issus d’échantillons sanguins provenant de grandes banques ou de grandes études de cohorte mesurant l’apport alimentaire. « Les faibles taux de vitamine D sont associés à environ deux fois plus de risque de SEP par rapport aux taux optimaux », souligne le Dr Bjornevik. Avec ses collègues, il a également constaté que des taux élevés de vitamine D sont associés à une meilleure évolution de la maladie, laissant penser que les patients atteints de SEP peuvent bénéficier d’une supplémentation en vitamine D.
Des antiviraux pourraient-ils modifier l’évolution de la SEP ? Les cellules B mémoire représentent le principal site d’infection latente persistante par EBV, souligne le chercheur. Les traitements de la SEP les plus efficaces à disposition aujourd’hui appauvrissent les lymphocytes B. « Bien que cela n’ait pas encore été montré par des études, il est possible que ces traitements diminuent l’activité de la SEP dans une certaine mesure en épuisant les cellules B infectées par l’EBV, suggère le Dr Bjornevik. Des antiviraux agissant plus spécifiquement sur l’EBV pourraient offrir un traitement plus ciblé. »
(1) K. Bjornevik et al., Science, 2022. DOI: 10.1126/science.abj8222
(2) W. Robinson et al., Science, 2022. DOI: 10.1126/science.abm7930