Les mots « révolutionnaire » et « historique » reviennent chez les infirmiers : longtemps passée sous les radars, une loi, dans sa phase finale, doit réformer leur métier, avec des prérogatives élargies et un accès plus immédiat et direct aux patients.
Jusqu’à présent, le recours à un infirmier libéral suppose une ordonnance. Et ce même « si vous avez une petite plaie, un petit truc, besoin d'une aide pour une douche ou ce genre de choses, ce qui est pourtant notre rôle propre », contextualise Gaëlle Cannat, présidente du collectif des infirmiers libéraux en colère.
La donne devrait changer avec le passage ce mardi 3 juin en commission mixte paritaire (CMP, composée de sept sénateurs et députés), d'un texte approuvé en mars à l'Assemblée nationale, puis en mai au Sénat. La CMP devrait trouver aisément un compromis entre les versions des deux chambres pour ce texte de loi plutôt consensuel.
Accès direct
Ainsi, l'infirmier pourrait s'occuper directement d'une personne « qui a une petite perte d'autonomie ou est rentrée d'une hospitalisation, mais n'a pas eu de prescription d'un médecin et a besoin qu'on vienne l'aider à faire des toilettes, par exemple », expose Grégory Caumes, juriste et expert en politique de santé.
Pour les « petits bobos et inconvénients du quotidien, l'infirmier pourra agir directement », synthétise cet ancien directeur adjoint de l'Ordre des infirmiers. Cette loi permettrait que « les pansements de plaies passent en accès direct et que ça soit reconnu comme une spécificité de notre pratique », illustre aussi la présidente de l'Ordre des infirmiers, Sylvaine Mazière-Tauran.
Diagnostic infirmier
La profession infirmière salue le chemin parcouru vers l’autonomie. « Je ne sais pas si le grand public a vraiment conscience de la révolution que ça peut être », estime Gaëlle Cannat. « C'est une réforme historique », se réjouit Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), John Pinte juge lui aussi cette loi « révolutionnaire ». « C'est vraiment inscrire la profession dans l'avenir du système de santé et faciliter, fluidifier le parcours du patient. »
Cette loi, « on la demandait depuis 20 ans, ça permet de reconnaître 267 diagnostics infirmiers », complète Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière. « L'infirmière pourra établir si c'est une plaie simple sur laquelle elle va pouvoir réagir ou si ça va être complexe, si ça demande un avis médical, et qu'elle va devoir réorienter », déroule encore Grégory Caumes.
L'idée « n'est pas de remplacer le médecin bien évidemment » assure Daniel Guillerm, ni « d'empiéter » sur ce qu'il fait insiste Gaëlle Cannat. Mais d'avoir « des portes d'entrée supplémentaires pour ne pas laisser des patients emboliser les services d'urgence et puis prendre en charge les patients dès que possible », décortique Daniel Guillerm.
Droit de prescription
« On pense souvent à l'infirmière libérale, mais ça aussi va changer les choses pour les infirmières de l’Éducation nationale, les infirmières au travail, etc. », éclaire Grégory Caumes. Avec 640 000 infirmiers en France (plus de 80 % sont des femmes), dont 145 000 en libéral, les nouvelles règles du jeu pourraient donc modifier assez significativement l’accès aux soins.
D’autant que ce projet de loi induit aussi un droit de prescription. « En gros des prescriptions simples, notamment certains antalgiques de niveau 1, comme le paracétamol, le Doliprane, par exemple », prolonge Grégory Caumes. « Il est quand même assez fou qu'un patient puisse acheter en pharmacie des antidouleurs et qu'une infirmière, notamment à l'hôpital, face à un patient qui souffre, ne puisse pas lui donner un antalgique de premier niveau », appuie Sylvaine Mazière-Tauran.
Valoriser les visites à domicile
Le projet de loi valorise également le rôle de l'infirmier qui se déplace à domicile et « voit votre environnement, comment vous vous nourrissez et peut faire un accompagnement d'éducation thérapeutique », ajoute Grégory Caumes. C'est ce que Ghislaine Sicre appelle « une photographie du patient », « importante » à ses yeux parce que « parfois, le patient va aller chez le médecin, mais il y a des choses qu'il n'explique pas forcément ». « On donnera beaucoup d'éléments au médecin sur la prise en charge à l'instant t », ajoute la responsable de Convergence infirmière.
Cette loi doit enfin gommer certaines situations ubuesques. Comme quand un infirmier, confronté à un soin imprévu, le traitait, sans ordonnance. « Si la patiente ne voyait son médecin que deux jours après, vous avez des médecins qui refusaient d'antidater les actes, la prescription, et donc vous étiez de votre poche en tant qu'infirmier », confie Daniel Guillerm.
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