Fleuves, lacs, chaînes de montagnes, routes ou barrières administratives : la France hexagonale partage avec ses voisins européens près de 3 000 kilomètres de frontières, que plusieurs centaines de milliers de Français traversent chaque jour pour aller travailler. Un touffu rapport de LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES de l’Assemblée nationale s’intéresse au quotidien des 25 millions de Français qui vivent dans un département frontalier et aux 500 000 travailleurs transfrontaliers qui résident dans l’Hexagone.
Au chapitre de la santé et de l’accès aux soins, les difficultés s’amoncellent, présente la rapporteure Brigitte Klinkert, députée EPR du Haut-Rhin. En raison de la tension du marché immobilier, se loger dans ces zones sans être un travailleur transfrontalier est difficile voire impossible pour les professionnels de santé. Les hôpitaux peinent à recruter des agents alors même que les transfrontaliers souhaitent bénéficier de services publics en adéquation avec leur niveau de vie. « Cette situation pénalise lourdement le fonctionnement des services publics, notamment dans le domaine de la santé car de nombreux soignants sont “aspirés” par les pays voisins », constatent les parlementaires.
Faciliter les soins en imagerie de l’autre côté
Ainsi, alors que leur densité est forte, ces zones deviennent parfois des déserts médicaux, les médecins étant davantage attirés par les opportunités de l’autre côté de la frontière. Face à ce constat, le rapport propose une série de solutions plus ou moins faciles à déployer.
Tout d’abord, « il est indispensable d’améliorer la complémentarité de l’offre de soins dans l’ensemble des bassins de vie transfrontaliers ». Or, réaliser des soins dans un autre pays, même si celui-ci offre davantage de services de santé plus proches et dans des délais plus courts, est soumis à des règles strictes et d’une grande complexité. Un frontalier qui souhaite se faire soigner dans un pays dans lequel il n’est pas assuré doit montrer patte blanche et s’armer de patience en cas de demande de soins jugés coûteux.
Il doit tout d’abord obtenir une autorisation préalable de la Cnam via un formulaire dit « S2 ». Cette autorisation est elle-même soumise à des critères soit déjà vérifiés en amont (l’adaptation du soin à la pathologie relevant de l’appréciation du médecin prescripteur), soit peu objectivables (l’absence de traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité en France dans un délai acceptable), ce qui complique la donne.
Complexité administrative délétère
De plus, les soins coûteux en question sont identifiés sur une liste à l’accès « particulièrement complexe en raison de multiples renvois » entre les pays. « Cette procédure a donc pour effet de ralentir la réalisation de certains soins, notamment en matière d’imagerie, pour lesquels les délais en France sont parfois très longs ou exigent de longs déplacements », indique le rapport, qui recommande simplement de la supprimer pour les frontaliers qui ont besoin de soins dans cette spécialité.
Déployer les corridors sanitaires, ces filières de soins à cheval sur deux pays qui portent leurs fruits, malgré la réticence de certaines ARS
Autre préconisation : développer les structures de soins transfrontalières (lire encadré) et, surtout, ce qu’on appelle les corridors sanitaires, ces filières de soins à cheval sur deux pays qui portent leurs fruits, malgré la réticence de certaines ARS, insiste le rapport.
En Allemagne, l’établissement spécialisé de Ludwigshafen soigne les grands brûlés qui habitent indifféremment d’un côté ou l’autre de la zone frontalière. Autre exemple : les services d’urgences de la Moselle et de la Sarre peuvent intervenir de part et d’autre de la frontière et assurer l’hospitalisation des patients dans l’un des cinq hôpitaux des deux régions. À la frontière franco-belge, enfin, les assurés français qui y résident de façon habituelle et permanente bénéficient sans autorisation médicale préalable et sans avance de frais d’une prise en charge indifférencié dans plusieurs établissements de soins frontaliers identifiés.
La Suisse, trop attractive
Côté soignants, le rapport dresse le sombre constat du manque d’attractivité des zones frontalières françaises pour les professionnels. Ainsi, dans le Doubs, l’intégralité des infirmiers formés par l’école de Pontarlier part systématiquement travailler en Suisse à la fin de leurs études.
Pour les députés, « la mise en place de formations mixtes permettrait d’harmoniser les compétences associées à chaque formation, qui sont souvent disparates d’un pays à l’autre ». Sachant que la reconnaissance des diplômes s’avère souvent complexe, il est parfois plus simple de proposer des certificats complémentaires. C’est ce qu’ont fait la Sarre et la Moselle (Zusatzqualifikationen) ou les administrations de la zone franco-allemande dite Eurodisrict Pamina, qui délivrent des formations linguistiques spécialisées pour le personnel de santé.
Si rien ne marche, il reste le dispositif contractuel incitatif ou contraignant les soignants formés gratuitement en France à y travailler plusieurs années
Autre option pouvant renforcer l’attractivité des métiers mais plus complexe à déployer au regard du droit europeén : moduler les tarifs aux niveaux de remboursement offerts par la Sécurité sociale d’affiliation. « Cela permettrait à des professionnels de santé de soigner en France des travailleurs transfrontaliers français et des patients venant de l’autre côté de la frontière au même tarif que s’ils étaient installés en Suisse ou au Luxembourg », lit-on.
Si rien de tout cela ne marche, il reste le déploiement d’un dispositif contractuel incitatif ou contraignant les soignants formés gratuitement en France à y travailler plusieurs années. Il s’agirait, a expliqué la rapporteure auditionnée par ses pairs ce printemps, « d’instituer une obligation de service en France d’une, deux ou trois années pour les soignants formés dans notre pays, à l’image des dispositions en vigueur pour les hauts fonctionnaires ». Pas sûr que ce soit la mesure la plus populaire.
Hôpital de Cerdagne : dix ans après, encore des irritants
Ouvert en 2014, l’hôpital de Cerdagne est le premier hôpital transfrontalier d’Europe. Il couvre un bassin de vie de 40 000 habitants à l’année et de 150 000 habitants en été, dans une région qui ne disposait jusqu’alors pas de structure hospitalière de proximité. Salué à l’époque comme une grande réussite et un modèle à suivre, ce groupement européen de coopération territoriale est, dix ans, plus tard confronté à divers irritants propres aux zones frontalières : refus d’accès des véhicules de secours de part et d’autre de la frontière, non-reconnaissance des diplômes de certains médecins français et chauffeurs de véhicules de secours, interopérabilité défaillante des systèmes d’information, obligation pour les parents d’enfants nés à Cerdagne de s’enregistrer au service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères situé à Nantes, double imposition des soignants français, etc. « Ces problèmes sont bien identifiés et en cours de résolution mais ils viennent démontrer la persistance de petits blocages qui peuvent gripper le bon fonctionnement d’un modèle de coopération transfrontalière », note le rapport.
Arrêt maladie : vers un allongement du délai de carence ?
Covid : la pandémie n’a pas provoqué de hausse durable des troubles anxieux en France, selon SPF
Dr Joëlle Belaisch-Allart (CNGOF) : « La clause de conscience spécifique à l’IVG n’est plus nécessaire »
Agression d'un médecin à Lille : deux hommes condamnés à un an de prison ferme