C’est un signal d’alarme lancé par la Défenseure des droits sur la persistance, la variété et l’ampleur des discriminations dans l’accès aux soins et le parcours médical. Dans son rapport intitulé « Prévenir les discriminations dans les parcours de soins : un enjeu d’égalité », cette autorité indépendante chargée de veiller au respect des droits dénonce ces discriminations, caractérisant les situations où un patient est traité de manière défavorable du fait d’un critère interdit par la loi (origine, sexe, précarité, handicap, orientation sexuelle, identité de genre, état de santé, etc.), dans un cadre comparable.
224 plaintes et 31 réclamations en 2022, la partie émergée de l’iceberg
Pour étayer ses propos, l’institution s’est appuyée sur une enquête approfondie nourrie des auditions avec des acteurs de la santé associatifs, Ordres, Assurance-maladie, professionnels de santé ou encore fédérations d’établissements et surtout le recueil de plus de 1 500 témoignages de patients et de personnels soignants (entre le 8 novembre 2024 et le 6 janvier 2025 sur le site de l’institution). Les discriminations recensées sont à la fois directes, comme les refus explicites de soins, et indirectes, voire peu visibles, comme des procédures exagérément complexes, des retards de prise en charge ou des propos injustifiés à toutes les étapes du parcours de soins.
Face à ces pratiques, peu de patients ont toutefois engagé des recours. En 2022, seules 224 plaintes ont été adressées aux Ordres professionnels et seules 31 réclamations ont été reçues par la Défenseure des droits Claire Hédon pour refus de soins discriminatoires. « Mais l’ampleur des discriminations dépasse largement » ces chiffres, précise l'institution. Car le droit est clair : les refus motivés par la nationalité, la précarité, la religion, le genre, l’apparence physique, le handicap ou l’état de santé sont illégaux et peuvent engager la responsabilité pénale (jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende), disciplinaire (de l’avertissement à la radiation pour manquement déontologique) et civile.
Accès aux soins urgents : des barrières immédiates
Le non-respect du droit de la personne est d’abord constaté sur l’accès aux soins urgents et sans rendez-vous. Selon le rapport, « l’organisation des soins aux urgences, la pression qui s’exerce sur ces services et les pratiques de sélection et de priorisation selon le degré d’urgence des patients constituent un terreau favorable pour l’expression des discriminations et le renforcement des inégalités d’accès aux soins ». Des études ont témoigné d’une prise en charge différenciée des personnes, en particulier selon leur sexe, leur origine, leur nationalité et leur vulnérabilité économique. Celle, par exemple, réalisée en 2023 dans des services d’urgence français et de trois autres pays européens a montré « qu’un homme blanc aurait 50 % de chance supplémentaire qu’une femme noire d’être considéré comme une urgence vitale quand il consulte dans un service d’urgence pour une douleur thoracique ».
Les femmes, notamment lorsqu’elles sont jeunes et d’origine étrangère, voient leur douleur « minimisée » ou leurs symptômes ramenés « à une supposée anxiété ou à une souffrance psychologique dissimulée ». À l’intersection de ces critères, les mères célibataires apparaissent plus exposées à ces refus discriminatoires. Une patiente rapporte le refus du médecin des urgences de procéder à un bilan sanguin, lui indiquant que « l’hôpital n’est pas un hôtel pour mère célibataire épuisée ».
Les personnes perçues comme « non-blanches » sont confrontées à des refus de soins motivés par des « préjugés racistes ». Le rapport revient sur le « syndrome méditerranéen », préjugé raciste selon lequel les personnes d’origine nord-africaine ou noire exagèrent leurs symptômes ou douleurs, ce qui a pour effet « une minimisation des souffrances exprimées par les patients et/ou un refus de soins, aux conséquences parfois fatales ».
Autres victimes des discriminations aux urgences : les patients vulnérables économiquement, sans domicile, à la rue ou usagers de drogues peuvent être disqualifiés avant même l’évaluation médicale, « en raison de leur apparence physique, de leur odeur corporelle ou au motif de l’alcoolisation », peut-on lire dans le rapport.
Prise de rendez-vous : la sélection silencieuse
Le rapport s’attarde sur la prise de rendez-vous qui cristallise de nombreuses formes de rejet. Certains professionnels refusent explicitement ou implicitement de recevoir des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS) ou de l’AME, les excluant ou les orientant systématiquement vers les permanences d’accès aux soins (PASS). Une étude de 2023 montre que 4 % des demandes de rendez-vous auprès d’un généraliste, 7 % auprès d’un pédiatre et 9 % auprès d’un ophtalmologue sont rejetées pour ce motif. Un secrétariat a expliqué aux bénéficiaires de la CSS qu’ils n’étaient pas reçus car « le docteur ne veut pas avancer les frais », peut-on lire.
Selon les témoignages reçus, des contraintes différenciées sont parfois imposées : consultations uniquement à certains horaires, exigences de documents spécifiques ou recours exclusif à des plateformes numériques non accessibles aux personnes âgées, handicapées ou éloignées du numérique. « L’octroi d’un rendez-vous uniquement sur certaines plages horaires spécifiques est discriminatoire », rappelle le rapport.
« On ne peut pas être trans et handicapé », « je ne soigne pas de genre de personne »
Rapport de la Défenseure des droits
Le « testing » a aussi mis en évidence des discriminations basées sur l’origine supposée via la consonance des noms, ou sur l’orientation sexuelle. Et dans le rapport, des témoignages de nombreuses femmes trans ou hommes trans rapportent des refus d’accès de médecins de spécialités variées (généraliste, endocrinologue, dermatologue, psychiatre), accompagnées de propos stigmatisants : « On ne peut pas être trans et handicapé » ; « je ne soigne pas de genre de personne ».
Quant aux personnes en situation de handicap, certaines d’entre elles se voient opposer des refus pour des motifs allant du « manque de temps ou de formation » aux « locaux inaccessibles ou à un matériel médical inadapté ».
La consultation, théâtre de rejets plus subtils
Une fois le rendez-vous obtenu, la discrimination peut se manifester dans le cadre du colloque singulier. Certains patients se voient refuser des soins sur place en raison de leur apparence, de leur handicap ou de leur religion (port du voile, par exemple).
Le rapport fait état de témoignages rapportant des propos déplacés, des refus d’examens ou des diagnostics biaisés, montrant une rupture du principe d’égalité dans la relation soignant-soigné. Une patiente relate le refus de sa gynécologue de la recevoir en consultation « car elle est noire, grosse et qu’elle ne verra rien » à l’examen. Un patient, dans le cadre d’une transition de genre, évoque le refus du médecin de faire la demande de prise en charge au titre d’une ALD. « Un généraliste m’a longtemps tenu dans l’ignorance que je pouvais être remboursé de mon traitement hormonal », écrit le rapport.
Outre l’inaccessibilité de certains locaux, les personnes en situation de handicap ou de surpoids sont confrontées à des propos discriminatoires. « Vous êtes trop gros, faites du sport, il faut se bouger et ne pas avoir la flemme », rapporte un patient obèse expliquant que son médecin a nié ses symptômes et ses douleurs.
Traumatisme
Errance de diagnostic, errance de parcours : pour la Défenseure des droits, ces pratiques illégales ne sont pas sans conséquences sur l’état de santé physique et mental des victimes. Dans certains cas, les consultations sont vécues comme un « traumatisme », à l’image de cette patiente ayant subi des années d’errance avant de bénéficier d’un diagnostic pour une maladie neuro-immunologique. « Cela a […] engendré une détresse psychique très importante, du fait de vivre un effondrement physique inexpliqué et terrifiant sans qu’il soit considéré comme important ou intéressant par les médecins », lit-on dans le rapport.
La crainte d’être stigmatisé rend certains patients méfiants envers le corps médical. « Je n’ai aucune confiance envers quiconque du corps médical, confie ce patient. Mes expériences rendent parfaitement clair qu’un rendez-vous qui se passe bien, un praticien qui m’écoute vraiment, c’est l’exception pas la norme ».
La Défenseure des droits réclame une stratégie nationale
L’accès équitable à la santé n’est pas un luxe, mais un « droit fondamental », insiste la Défenseure des droits. Elle appelle à une mobilisation collective, qui commence par l’élaboration d’une « stratégie nationale » de prévention et de lutte contre les discriminations dans les soins. « Un observatoire national des discriminations » pourrait être créé permettant de développer la statistique publique et les travaux de recherche.
Pour les soignants, l’introduction systématique de modules de formation initiale dédiés à la lutte contre les discriminations et aux spécificités de certains publics (handicapés, précaires, transgenres, allophones, en situation d’obésité, vivant avec le VIH, mineurs non accompagnés) est mise en avant. Même objectif d’information et de formation concernant les dispositifs spécifiques de prise en charge (CSS, AME, ALD). Des modules similaires devraient être proposés en formation continue, complétés par des ateliers périodiques de réflexion et d’analyse des pratiques portant sur l’accueil et l’accompagnement bienveillant des patients.
Enfin, le Défenseur des droits suggère de rendre effectifs les recours juridictionnels par une meilleure information des patients et un durcissement des pénalités. Les éventuelles sanctions prononcées – dont les suspensions d’exercice – devraient donner lieu à une information claire du public par voie d’affichage sur le lieu d’exercice et le site de l’Ordre.
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