Aide au diagnostic, dispositifs médicaux intégrant la technologie… Les applications de l’intelligence artificielle se multiplient en santé. Un nouveau pas semble franchi avec le déploiement de solutions utilisant la voix pour assister le praticien dans sa consultation. Quelles sont ces technologies et comment fonctionnent-elles ? « Le Quotidien » s’est penché sur les offres des éditeurs et leur intégration par les médecins.
« Alexa, quelle est la pathologie de mon patient ? », « Dis, Siri, peux-tu enregistrer ses constantes ? », « OK Google, que dois-je prescrire ? »… Depuis l’arrivée, au début des années 2010, de Siri (Apple), les assistants vocaux se sont fait une place dans le quotidien des Français. Au point d’intégrer les cabinets médicaux ? Pas tout à fait. Ce ne sont donc pas Apple, Google ou Amazon qui poussent la porte des cabinets, mais l’idée a fait son chemin chez les éditeurs de logiciels métiers qui bénéficient de l’essor des technologies d’intelligence artificielle. Et des solutions d’assistants vocaux utilisant de l’IA sont aujourd’hui proposées aux médecins ou devraient l’être prochainement.
« Un compagnon vocal qui va permettre au médecin de se concentrer sur la relation de soins », telle est la définition donnée par Serge Besnard, directeur des développements d’IA vocale du groupe Equasens, éditeur des logiciels Medistory, Medilink… Alexandre Lebrun, dirigeant et cofondateur de la société française Nabla, pionnière de la technologie, se remémore la création de son entreprise en 2018 avec l’ambition de mettre l’IA au service de la santé et le constat du temps passé par les médecins à « faire des papiers, de l’administratif ». « Il fallait les débarrasser de ces taches qui leur font perdre du temps », estime-t-il. Aujourd’hui, sa solution est utilisée dans une vingtaine de pays, les États-Unis et la France recensant plus de 80 % des volumes de consultations, indique le dirigeant, qui revendique plus de 10 millions de consultations traitées chaque année. Doctolib, qui commercialise sa solution depuis octobre 2024, « promet de transformer (le) quotidien » des soignants, avec notamment la « réduction de la charge mentale liée à la prise de notes exhaustives et la crainte de manquer des informations essentielles ».
Comment ça fonctionne ?
Ces assistants de consultation utilisent des technologies de reconnaissance vocale et de traitement par intelligence artificielle. Ils captent via l’ordinateur (ou le téléphone) du médecin les échanges de la consultation, réalisent ensuite une retranscription puis une synthèse qui est fournie au praticien. Un document structuré est ensuite proposé pour alimenter le dossier patient. Si le principe est le même suivant les fournisseurs, des similitudes et des différences techniques existent.
Pour tous, le système fonctionne avec une connexion internet. En effet, l’enregistrement et le premier traitement ne se font pas sur l’ordinateur du médecin. « Il n’existe pas aujourd’hui d’ordinateur assez puissant pour faire tourner ces modèles », explique Serge Besnard, pour qui un des axes de développement est de « faire tourner la solution sur des ordinateurs moins puissants ». Mais tous l’assurent : rien n’est sauvegardé dans le cloud… Enfin, pas très longtemps. « L’audio est traitée sur le fil, à aucun moment elle n’est stockée », indique Alexandre Lebrun, qui ajoute : « À partir de l’audio, nous générons un transcript qui est gardé par défaut 15 jours. Le médecin peut choisir de le conserver moins longtemps. C’est ce transcript qui est utilisé pour générer la note avec les informations structurées. » Benoît Garibal, directeur général de Cegedim Santé (éditeur de Maiia), confirme : « Nous n’enregistrons pas la voix, nous enregistrons la retranscription texte qui constitue la donnée brute sur laquelle travaille l’IA pour une synthèse. »
Que devient ensuite cette synthèse ? Pour les éditeurs de logiciels métiers, ces notes sont structurées et peuvent être intégrées directement dans le dossier patient. « En fin de consultation, nous proposons la synthèse au médecin, qui peut l’éditer, la corriger… Nous lui proposons également les données qui pourraient être ajoutées au dossier patient. Cela lui permet également de noter des informations supplémentaires », détaille Nacim Rahal, directeur Data et IA de Doctolib. De son côté, Cegedim Santé prépare le lancement à grande échelle d’un assistant de consultation pour son logiciel médecin Maiia. Benoît Garibal précise : « Le système suggère un compte rendu de consultation et une méthode d’intégration. Le médecin choisit ce qu’il veut intégrer dans son logiciel : tout, la conclusion, l’examen clinique, la prescription… L’enjeu est d’éviter de complexifier et noyer le dossier patient avec des informations inutiles. Il faut que cela reste efficace. » Chez Nabla, la solution fonctionne séparément des logiciels métiers (excepté pour Weda, où elle peut être intégrée). Le médecin lance donc Nabla sur son ordinateur ou son téléphone et décide ensuite de copier-coller les éléments de la synthèse dans son dossier patient. Alexandre Lebrun précise qu’une extension chez Google Chrome est disponible pour l’utilisation lors des téléconsultations (qui représentent 20 % des usages).
Des tarifs de l’ordre de 60 à 80 euros par mois
Si tous ne communiquent pas les tarifs, l’utilisation d’un assistant vocal entraîne un coût supplémentaire. Cette brique en plus est facturée 79 euros par mois (après un mois d’essai gratuit) chez Doctolib. Nabla affiche un tarif mensuel de 69 euros en France, pour un usage illimité. « L’IA coûte assez cher en termes d’infrastructure, d’outillage et de valeur de service », justifie Benoît Garibal qui souligne l’axe fort autour du niveau d’intégration et de sécurité de la solution.
Quid du consentement du patient ?
D’après l’ensemble des fournisseurs interrogés, pas besoin de consentement formalisé du patient car les données ne sont pas stockées en dehors de ce que sélectionne le médecin dans son dossier patient. Néanmoins, une information aux patients est conseillée par les éditeurs qui mettent à disposition des éléments de communication. « Nous donnons aux médecins des affichettes d’information, qu’ils mettent dans la salle d’attente ou qu’ils distribuent aux patients qui peuvent ainsi prévenir s’ils ne souhaitent pas que la solution soit utilisée. À partir du moment où le patient est d’accord pour que ses données soient introduites dans son dossier médical, cela couvre l’utilisation d’IA vocale », estime Serge Besnard. Alexandre Lebrun renchérit : « Nous fournissons une proposition pour informer le patient. Il n’y a que de très rares cas où ce dernier refuse. Pour beaucoup, ils sont contents de voir que leur médecin utilise des technologies modernes. Et le praticien leur explique que ça lui permet de ne pas avoir à prendre de notes et d’avoir plus d’attention disponible pour la consultation ». Cegedim Santé travaille pourtant sur la formalisation de l’information du patient, confie Benoît Garibal.
Quelles évolutions ?
Alors que les solutions se déploient, chacun peaufine son offre. Benoît Garibal entend ainsi dépasser l’effet « waouh » : « Les médecins que nous avons pu interroger avaient souvent le même retour : ils étaient d’abord bluffés par la puissance de la machine, de la transcription mais se sont ensuite rendu compte du niveau de travail nécessaire, de reformulation, de manque de synthèse sur certains sujets… » Des écueils qu’il entend ne pas reproduire avec la solution Cegedim et l’évolution des modèles pour s’adapter aux différents réflexes des professionnels de santé. Chez Doctolib, le déploiement débuté fin 2024 se poursuit pour intégrer de plus en plus de spécialités médicales (pour le moment, l’assistant est disponible pour les généralistes, pédiatres, gynécologues, psychiatres, gastro-entérologues, ORL et endocrinologues). Et l’entreprise travaille afin d’« étendre l’assistant en amont de la consultation, pour fournir une vue synthétique, et en aval, par exemple pour les courriers d’adressage », confie Nacim Rahal. Nabla s’intéresse à la partie remboursement, explique son dirigeant, avec une aide à la codification pour les États-Unis et la France.
Des bénéfices mais aussi des risques, selon les représentants du corps médical
Dans son rapport publié en novembre 2024 sur les perspectives des associations médicales concernant l’intégration des outils d’IA (1), l’OCDE détaille une étude de cas d’utilisation d’un système d’assistant vocal avec IA. « Environ 20 % des synthèses ne nécessitent aucun changement, tandis que les 80 % restants nécessitent des ajustements mineurs, impliquant souvent l'ajout d’informations qui n'étaient pas évidentes dans la conversation », note l’organisation. Avant d’ajouter : « L’impact le plus significatif est observé en termes d'efficacité, avec une augmentation de 15 % du nombre de patients vus lors d'un service aux urgences ». L’autre bénéfice mis en avant est de diminuer le risque d’oubli d’informations notées après la consultation. Enfin, un des patients n’était pas de la langue maternelle du soignant et l’outil a traduit la description des symptômes. L’OCDE pointe néanmoins : « Même si les avantages sont évidents, certains risques persistent, notamment en matière de protection de la vie privée, de coût et de formation ».
(1) Artificial intelligence and the health workforce : Perspectives from medical associations on AI in health