C'est en effet le parti de l'abstention qui risque de l'emporter. Car les deux hommes ont à peu près tout fait et dit pour se disqualifier eux-mêmes : le premier, Johnson, n'a cessé de surfer sur la crète de la démagogie et du mensonge pour parvenir au sinistre résultat qu'il invoque depuis trois ans, le Brexit ; le second, Corbyn, n'a jamais pris l'engagement d'épargner cette affreuse expérience au peuple britannique et représente, par son antisémitisme notoire et son indulgence pour la djihadisme, un risque pour la sécurité des Anglais. Lesquels ne se voient pas contraints par cette regrettable alternative de donner leurs suffrages aux centristes que sont les libéraux-démocrates. On peut même avancer l'idée que Johnson et Corbyn sont renforcés par la certitude que ni l'un ni l'autre ne renonceront au Brexit, même si le chef des travaillistes envisage un nouveau référendum sur la question.
La vérité est cruelle : les chances de M. Corbyn de l'emporter contre un Johnson qui reste encore très populaire sont minces. Ce qui permet de proposer un pronostic sur la victoire de Boris Johnson, saltimbanque de la politique qui assez joué sur les tréteaux sa pantomime de Polichinelle pour gagner les cœurs de ses concitoyens. On nous dit et on nous répète que le Brexit a tracé un fossé au sein des familles, a cisaillé les idéologies, jeté les uns contre les autres des gens qui s'aimaient. Pourtant, ils devraient réagir à cette dichotomie de masse en donnant leurs voix à ceux qui, dans cette crise historique et sans précédent, préconisent le retour à la raison et à la sécurité.
Le Brexit n'est pas une fatalité ou le produit d'une volonté divine, c'est la fabrication d'un populisme si pervers qu'il a fait florès sur le mensonge, sur l'insulte faite à l'intelligence, sur une analyse artificielle, infondée, inventée de toutes pièces et dont la crédibilité repose uniquement sur les craintes populaires. C'est la peur de l'avenir qui incite les Britanniques à chercher un chef qui les protège d'inconnues terrifiantes. C'est leur obstination à ne pas croire à l'amitié européenne, à la bienveillance d'un continent autrefois dévasté par les guerres, mais revenu à la paix depuis 75 ans.
Une monarchie pathétique.
M. Johnson n'est pas à sa place de Premier ministre parce que le Royaume-Uni, bien qu'il soit doté d'une monarchie pathétique dont les acteurs, comme dans la mythologie romaine ou grecque, ne sont que des humains fragiles et vulnérables, a été un exemple historique de solidité, de cohésion, d'attachement aux principes qui régissent une démocratie exigeante. Le plus étonnant, dans cette affaire, ce n'est pas cette majorité, faible, indécise et changeante, en faveur du Brexit, c'est ce qu'elle révèle d'un état d'esprit que la paix, l'ennui suscité par le bonheur, la lassitude des jours tranquilles, ont empoisonné.
Nous, Européens, savons que nous ne sommes plus en mesure de faire aux Anglais les recommandations qui s'imposent. Leurs journalistes, leurs intellectuels, leurs meilleurs artistes le leur ont dit. Ils leur ont dit qu'on ne se protège pas de l'immigration en fermant les frontières, qu'on ne sacrifie pas sa prospérité à l'intolérance pour le reste du monde, qu'on ne coupe pas les liens avec l'Union européenne en comptant sur le commerce avec les Etats-Unis de Trump ou avec le Commonwealth, dernier vestige d'un empire sur lequel désormais le soleil se couche. Comment peuvent-ils croire que leurs liens avec l'Asie et l'Afrique compenseront leur retrait de l'UE, sinon parce qu'ils sont intoxiqués, parce que nombre de leurs dirigeants leur ont lavé le cerveau, parce que, au fond, ces grands enfants que sont les adultes, anglais ou non, préfèrent croire aux comptines qu'à l'expertise ?
C'est une formidable liberté qui a conduit ce grand peuple, celui qui a tenu bon face à un nazisme impitoyable, à choisir la rupture avec l'Europe. Sans paraître se douter qu'il renonce de la sorte à quelques-unes de ses libertés les plus chères.