Le Premier ministre, Édouard Philippe, multiplie les propos rassurants. Chaque fois qu'il en a l'occasion, il traite les sujets un à un pour rassurer ceux qui feront les frais des changements proposés. L'application du nouveau système prendra des années ; les retraités actuels ne seront jamais concernés par la réforme; les cagnottes des Caisses de retraite complémentaire ne seront pas nationalisées (vraiment ?) ; il n'y aura pas de révolution pour les avocats, ni pour les médecins ; tout se passera dans le respect des futurs pensionnés. Mais, à force de reculer sur les mesures, il risque de prendre des engagements qui dénatureraient la réforme. Il risque de ne pas remplacer les 42 systèmes de retraite actuels par un système unique. Il risque surtout de laisser se gonfler des déficits à l'heure où il est temps de consolider les comptes.
Cette année aura été celle où le pouvoir s'est heurté de front aux « terribles pépins de la réalité », comme disait Prévert. Il était louable d'annoncer « la » réforme qui n'avait pas encore eu lieu, il serait préférable qu'elle se transforme en réalité tangible. Surtout quand François Fillon qui, décidément, n'est jamais à court d'un commentaire scélérat, raconte dans un journal suisse que lui, Fillon, a mis deux millions et demi de Français dans la rue avec ses réformes. Façon de dire qu'il n'a jamais eu froid aux yeux et que Macron est un plaisantin. La vérité est plus simple : l'ancien Premier ministre n'est plus au pouvoir depuis longtemps tandis que Macron, lui, tient à garder le sien. Si la question ne porte que sur le nombre de manifestants, l'analyse est courte. Si elle porte sur ces réformes dont nous avons tant besoin et qui exigent de remettre le travail sur l'ouvrage, elle ouvre une discussion nationale sur ce qu'un gouvernement élu peut faire à un peuple sans son consentement.
Victime de son projet
Regardez le monde, M. Fillon : le Liban s'est soulevé non pas contre les influences étrangères qui le minent, mais contre la corruption et l'indifférence des élus pour les nombreuses strates du peuple libanais ; le peuple chilien s'est soulevé non pas contre un gouvernement de droite mais contre une hausse du ticket de métro ; et Macron n'a jamais mis que 280 000 gilets jaunes dans la rue, mais quel grabuge ils ont fait ! L'affaire vaut mieux qu'un commentaire assassin qui ne grandit guère un homme poursuivi par la justice pour enrichissement personnel illégal. Elle est tellement plus importante que ce qu'il en dit que l'exécutif devrait plutôt se demander s'il ne doit pas reconnaître qu'il est à bout de souffle. Certes, il semble bien avoir eu raison des gilets jaunes, mais ce n'est que partie remise. Partout, à la SNCF, chez les agriculteurs, à l'hôpital, on entend l'appel désespéré de ceux qui travaillent dans des conditions si déplorables que seuls des investissements publics lourds viendraient à bout du mécontentement populaire.
Le pouvoir en tient compte. Il a changé de registre. Il ne cesse de faire des gestes en faveur des corporations, des syndicats, des groupes d'intérêt. Il met, dans le dialogue avec eux, quelques bonnes manières qui l'auraient si bien servi il y a quelques mois. Il a compris, mais jusqu'où son réalisme ira-t-il ? Le triomphalisme de naguère n'est plus de mise. On se faisait fort de lancer la réforme des retraites, mais plus on entre dans les détails et plus elle semble inapplicable. Renoncer ? Cela ne renforcerait guère la crédibilité du pouvoir. Sauf que les gens aiment bien faire reculer ceux qui décident à leur place, même s'ils les ont élus. Peut-être est-il plus facile de différer un projet que de l'appliquer avec une si grande constance qu'on en devient la victime expiatoire.