L'année passée s'est traduite par une progression assez forte et générale des résultats des médecins libéraux, selon les premières statistiques des associations de gestion agréées que livre en exclusivité « Le Quotidien ». En l'absence de revalorisations en 2021, cette embellie s'interprète surtout comme un rattrapage après une année 2020 catastrophique pour la comptabilité des cabinets. Anesthésistes, généralistes et angiologues sont ceux qui profitent le mieux de la relance de l'activité.
Est-ce une bonne année pour les médecins libéraux ? Sur le papier au moins, cela semble incontestable : en 2021, les bénéfices de ces derniers sont en effet repartis à la hausse ; et cette embellie englobe presque toutes les spécialités, à quelques exceptions près. En fait, alors que 2020 s'était traduite par une douche froide pour tout le monde - la quasi-totalité des disciplines accusant alors des baisses parfois fortes de bénéfices - 2021 semble avoir permis aux uns et aux autres de redresser la barre et de rattraper le temps perdu, notamment lors du premier confinement, qui avait vidé les salles d’attente. Selon les chiffres de l’Union nationale des associations de gestion agréées (UNASA), que « Le Quotidien » présente en exclusivité, la quasi-totalité des disciplines recensées affichent donc des progressions de recettes et la grande majorité renouent avec des résultats en croissance.
Année record pour les généralistes
Cette reprise est d’abord au rendez-vous chez les médecins généralistes. Ceux de l'UNASA affichent une des progressions les plus sympathiques de l’échantillon. Ils ont terminé l’année sur une hausse de plus de 9 % de leur bénéfice en moyenne, après, il est vrai, un triste -1,5 % en 2020. Une évolution de cet ordre n’avait pas été enregistrée depuis plus de 15 ans : même en 2011, année du C à 23 euros, un tel score n'avait pas été observé.
Cette bonne santé économique s'explique par le retour des patients après la parenthèse 2020, en partie également par des régularisations sur le Dipa (dispositif d'indemnisation pour perte d'activité) - à la hausse pour les deux tiers des praticiens —. Et cette évolution a sans doute été favorisée à la marge par la montée en charge des assistants médicaux. La performance était donc assez attendue, mais pas dans de telles proportions. Fin décembre, la Cnam faisait état d’une augmentation du poste généraliste (+3,8 % fin 2021), mais sans qu’on puisse imaginer qu’elle se traduirait par une progression à presque deux chiffres des revenus.
Pour comprendre un tel écart, il faut donc aussi invoquer la donne démographique, avec depuis quelques années, des soldes arrivées-départs en négatif chez les omnipraticiens : entre 2017 et 2025, un quart des effectifs en activité pourrait ainsi manquer à l'appel, si l’on en croit les prévisions de l’Ordre. Pénurie dont les effets se font incontestablement sentir sur l’activité de ceux qui restent. Par voie de conséquence, l’enveloppe médecine générale est aujourd’hui à partager entre des professionnels moins nombreux que ces dernières années.
Plus que les autres, la discipline semble aussi tirer parti d'une progression modérée de ses charges. À preuve : les recettes des généralistes (+ 7,7 %) évoluent moins fortement que leurs bénéfices (+9 %). Un praticien a converti en moyenne 59,2 % de ses honoraires en résultat net l'an passé.
Heureux comme un généraliste en 2021 ? Si l’on en croit les agendas des intéressés et les revendications de la profession, cela n'est pas si sûr… D’ailleurs, il se confirme que leurs remplaçants tirent encore mieux leur épingle du jeu, avec des taux d’évolution double — à deux chiffres et presque deux dizaines — sur leurs recettes et sur leurs bénéfices. Juste retour des choses, diront les jeunes pousses de la médecine générale, dont l‘activité avait pâti de la première année de la crise, qui s’était traduite pour eux par une quasi-croissance zéro en 2020.

Moindres progressions chez les spés
Côté spécialités, certaines font mieux que les médecins de famille, mais elles ne sont pas légion. La Cnam avait annoncé une progression soutenue de + 12,1 % du poste spé en 2021. En fait, la plupart des spécialistes adhérents de l'UNASA sont en deçà. Les mieux servis sont encore les anesthésistes et angéiologues, qui terminent les uns et les autres l’exercice sur un solide + 11,7 %, coiffant les médecins de famille au poteau en termes de progression de bénéfice. Juste en dessous, un premier peloton croissait l’an passé autour de 7 ou 8 % pour les mieux placées (radiologues, ORL, dermatologues, pédiatres, ophtalmologistes, ou pneumologues). Un autre groupe (formé par les gastroentérologues, cardiologues, rhumatologues, allergologues et chirurgiens généraux) se situait autour des + 5 %. Moins favorisées encore, quelques lanternes rouges stagnaient autour ou en dessous de 0 % (comme les gynécologues médiaux ou obstétriciens, psychiatres et endocrinologues). Le cas des biologistes médicaux (-4,9 % de bénéfice en 2021) étant à part, puisque ce sont eux qui ont fait la meilleure année en 2020 (+6,3 %). Au total, les signaux sont orientés à la hausse, mais pour une année de rattrapage, cela aurait pu être plus marqué.
Activité en hausse, revalos au point mort
En réalité, pour les médecins libéraux dans leur ensemble, l’exercice 2021 aurait pu être bonifié si l’effet prix s’était conjugué à l’effet volume. Or de ce point de vue, rien de neuf : la progression de l’activité ne s’est accompagnée d’aucune véritable évolution tarifaire qui aurait pu faire de 2021 un cru d'exception. La faute aux syndicats diront les plus critiques, puisque les négociations sur l’avenant 9 ont été interrompues sine die par eux à l’automne 2020, privant les libéraux de revalorisations dès 2021. Ajoutons à cela que la ROSP 2020 (versée en 2021) s'est avérée être, pour cause de Covid, un assez mauvais millésime. Et voilà pourquoi, tous comptes faits, 2021 n’a pas été si extraordinaire que cela.
A priori, les perspectives sont meilleures pour 2022. Visites longues et nouvelles consultations complexes pour les généralistes, bonus sur l’avis ponctuel de consultant, majorations pour certaines spécialités cliniques, coups de pouce sur la télémédecine et la télésurveillance ou sur les soins non programmés sont entrés en vigueur en avril dernier et devraient impacter positivement l’exercice 2022. Au-delà, à l'horizon 2023, tout dépendra de l'issue des discussions sur la prochaine convention médicale. Les syndicats s'y préparent.
Des syndicats dubitatifs
La CSMF estime pour l'heure ces résultats 2021 bien « flatteurs ». Son président, le Dr Franck Devulder, rappelle en effet que la forte progression notamment pour les généralistes (+ 9 %) s'explique essentiellement par un effet rebond de l'activité en 2021 après un coup d'arrêt en 2020 lié au Covid. « Rappelez-vous le 12 mai dernier, Emmanuel Macron avait appelé les Français à ne pas négliger leur santé », pointe le gastro de Reims. Mais « ce rattrapage est fait par un corps professionnel touché par la chute démographique et donc ils ont travaillé plus », ajoute-t-il. Pour changer la donne, en vue de la prochaine négociation conventionnelle en septembre, la centrale polycatégorielle réclame « la mise en place d'une hiérarchisation des consultations ». « Cette réforme permettrait à tous les médecins d'avoir une rémunération qui les incite à voir plus de patients différents et à travailler davantage en coopération, avec d'autres professionnels de santé », résume le patron de la CSMF.
Du côté de MG France, on estime que la comparaison entre 2020 et 2021 « ne reflète pas la réalité ». « La hausse de 9 % de nos revenus en 2021 paraît spectaculaire mais c'est par rapport à 2020 où on avait une perte importante de notre activité en raison du Covid, commente la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. Cette perte a été compensée en 2021 par un redémarrage des consultations dans les cabinets, la forte activité dans les centres de vaccination, sans oublier la régularisation de la Dipa ». Pour la généraliste parisienne, « si on veut vraiment voir la tendance, il faut comparer 2018 à 2022 où l'impact du Covid sur les revenus est fini. Et c'est là qu'on on va s'apercevoir que nos revenus sont bloqués depuis 5 ans ».