François Bayrou ne peut ignorer la réalité : il sait que la macronie est sérieusement affaiblie par de nombreuses défections, que le président sortant ne peut gagner la prochaine élection présidentielle sans le soutien du MoDem ; et il exerce, comme un bon ami qui défend tout de même ses intérêts, une pression vigoureuse sur le chef de l'État. La proposition, ou l'ultimatum, de Bayrou, préjuge de sa capacité à obtenir de Macron ce qu'il réclame car les mêmes arguments qui militent en faveur de l'affaire de sa vie, la proportionnelle, peuvent se retourner contre lui et, en tout cas, finir en mêlée sanglante, y compris pour son parti.
Bayrou, comme il en a l'habitude, est seul à réclamer un scrutin « réellement démocratique » : la droite LR ne le rejoint pas et le président du Sénat, Gérard Larcher, lui a fait savoir qu'il y était hostile, bien que lui-même ait été élu, comme tous les sénateurs, à la proportionnelle. On est surpris du combat mené avec ferveur par Bayrou, parce qu'on ne voit pas très bien où il va : il a toujours été en phase avec Macron et il a relativement beaucoup d'élus à l'Assemblée nationale. Il a tout intérêt à soutenir le président, dès lors qu'il ne peut associer le MoDem ni à la droite ni à la gauche. Le président lui a donné un os à ronger en le nommant Commissaire au plan, sans pour autant lui accorder un poste ministériel car Bayrou doit encore en finir avec les accusations d'emplois fictifs au Parlement européen qui l'ont contraint à démissionner de son poste de ministre de la Justice en 2017, quelques semaines seulement après sa nomination.
Le passé et l'avenir
C'est plus fort que lui. Il a besoin d'exister. Il prend de l'âge et il voit passer les occasions ratées, par manque de chance ou par accident. Il veut marquer son époque. Effectivement, les législatives à la proportionnelle augmenteraient le nombre d'élus MoDem, mais aussi celui du Rassemblement national et de la France insoumise. Ce qui explique le refus de M. Larcher. D'une certaine manière, François Bayrou joue son va-tout : peu importe qui profite de la proportionnelle, pourvu que croisse son propre parti. Ce n'est pas nourrir un projet sain pour le pays. Ce serait, avec la proportionnelle intégrale, le renvoyer au régime des partis et à la domination de l'exécutif par l'Assemblée nationale. Ce serait nier l'essence même de la Vè République.
Bayrou est ainsi devenu le messager du retour en arrière et confond le passé avec le futur. Le mandat actuel de Macron a montré l'extraordinaire résistance du pouvoir aux erreurs de calcul qu'il a certes pu commettre, mais aussi aux mésaventures où il a été plongé. Mais le président n'est pas un faiseur de miracles : il part pour la présidentielle avec plusieurs handicaps, il y a, dans l'opposition, deux ou trois ténors (dont deux femmes, Marine Le Pen et Anne Hidalgo) capables de lui tailler des croupières et surtout, la gauche et les écolos sont décidés (ils l'ont dit publiquement) à le faire perdre cette fois-ci, sous le prétexte qu'il ne veulent plus, au second tour, d'un nouveau match entre Macron et Le Pen.
C'est l'histoire de la grenouille qui accepte de transporter le scorpion sur son dos pour lui faire traverser le gué. Il la pique et elle s'étonne : « Tu me tues, mais tu vas mourir noyé, toi aussi ». Il lui répond que c'est dans sa nature. C'est donc dans la nature des écolos et de LFI de rompre le Front républicain et, dans ce contexte, M. Bayrou et son parti feraient mieux de soutenir ardemment le président-candidat, s'ils ne veulent pas passer dans l'opposition. La grenouille, rappelez-vous, est aussi celle qui se croit aussi grosse que le bœuf. Proportionnelle ou pas, le MoDem sortira en bonne forme des législatives de l'année prochaine. Mais il devrait se demander combien, au total, il a de troupes.