Avec une valorisation estimée à 234,5 milliards de dollars en 2023, le marché mondial de la e-santé est en ébullition, dopé par la pandémie. Mais ce bouillonnement digital ne se traduit pas encore dans les cabinets médicaux français.
Certes, l'année 2020 a permis de franchir un cap avec 20 millions de consultations à distance. « Il y a quelques années, la télémédecine était un gros mot en France », se souvient Stéphanie Hervier, cofondatrice et DG de Medaviz. Les financeurs internationaux – fonds d’investissement, entreprises anglo-saxonnes – s'intéressent de plus en plus à la e-santé hexagonale. En témoigne le rachat en avril de la start-up tricolore Qare, concurrent de Doctolib, par la plateforme britannique HealthHero. Mais les États-Unis dominent très largement ce marché. Sur les 49 licornes du secteur dans le monde – sociétés valorisées à plus de un milliard de dollars – seule une est française : Doctolib.
Des logiciels métier perfectibles
La France souffre de plusieurs handicaps. « Il faut travailler sur le financement des innovations médicales et sur le remboursement des actes », plaide Franck Le Ouay, ingénieur et CEO de la société Lifen, plateforme de coordination médicale et de solutions digitales (sécurisation des échanges électroniques, transmission de documents, automatisation des plannings, etc.).
A l'échelle des cabinets, les praticiens peinent à s’inscrire dans une démarche numérique, faute d'appropriation des usages et d'incitations à la hauteur. Dans un récent rapport, l’Institut Montaigne, think tank libéral, juge que « par son montant comme par son contenu », le forfait structure – censé accélérer l’équipement et la modernisation des cabinets – « peine à convaincre les professionnels ». Il suggérait la mise en place d'un « forfait transformation » visant au déploiement massif des outils à forte valeur ajoutée (messageries sécurisées, téléservices, e-prescription, télésuivi).
Des solutions digitales existent pourtant dans des domaines aussi variés que la prévention, le maintien à domicile, le suivi des maladies chroniques à distance (diabète, hypertension, insuffisance cardiaque), les dossiers médicaux ainsi que les applis. « Le médecin dans son cabinet n’est pas encore un acteur prépondérant de la e-santé, recadre le Dr Rémi Unvois, vice-président de la CSMF. Même les jeunes restent dans une relation très tactile avec le patient. » La rémunération reste le nerf de la guerre. « En remettant à niveau les honoraires, je suis convaincu que les médecins iront davantage vers l’innovation et les outils pour fluidifier les soins. »
Autre obstacle, l’état disparate des logiciels métier. « Ils ne donnent pas envie de se lancer, ils manquent d’interopérabilité, de thesaurus scientifique articulé et même d’intégration des outils de téléconsultation », explique le Dr Unvois, qui fut initiateur de Libéralis, intranet santé commercialisé par France Télécom à la fin des années 90.
Sans formation, pas d'évolution
Même s'il existe quelques modules post-universitaires sur la santé connectée et l'IA, la formation fait défaut pour diffuser la culture numérique : 90 % des carabins ne sont pas sensibilisés à la télémédecine et seuls 20 % des internes le sont. Nombre de praticiens installés s'interrogent sur le retour sur investissement et l’obsolescence des outils. « Sans accompagnement et sans formation, il n’y aura aucune évolution », insiste le Dr Rémi Unvois. « Ce n’est pas populaire, mais je pense qu’il faut rendre contraignante la formation à la santé numérique pour que les patients aient droit à ces innovations. »