Agnès Buzyn a accepté une succession des plus compliquées et des plus délicates. Les critiques qui ont suivi sa désignation ne sont pas sorties des esprits les plus subtils des diverses oppositions ; elles étaient, plus que prévisibles, d'une déconcertante facilité intellectuelle. Certes, Mme Buzyn vient de la vie civile, mais qu'est-ce qui l'empêche de changer de cap et de se lancer dans le combat politique ? Certes, la mairie de Paris est moins importante que l'avenir de l'hôpital et la lutte contre le coronavirus, mais, en devenant la femme-lige d'Emmanuel Macron dans la capitale, l'ancienne ministre rend un service unique à la République en marche, qui croyait avoir déjà perdu et reprend espoir.
Cela ne signifie pas qu'elle va gagner à coup sûr, au contraire. Anne Hidalgo, pour le PS et Rachida Dati pour LR, sont bien implantées et qui sait ce que les Machiavel de droite et de gauche vont trouver pour disqualifier la nouvelle candidate. En faisant un choix qu'elle rejetait seulement 24 heures avant de changer d'avis, elle a sans doute cédé à la pression du président de la République. Il lui a probablement expliqué qu'il lui fallait une personnalité de grande notoriété pour rassembler les marcheurs, une femme, oui, mais aux nerfs d'acier qui ne se départit jamais de sa sérénité, ni devant une foule d'agités ni face aux députés qui la critiquent à l'Assemblée. Elle rendra à la campagne la dignité que l'affaire Griveaux, déjà en mode judiciaire, lui a fait perdre. Elle installera un rapport de forces qui inquiètera Anne Hidalgo, laquelle s'est crue un moment invincible. Elle donnera du fil à retordre à Rachida Dati qui, soudain arrivée de très loin, a pensé qu'elle incarnait le retour en grâce de la droite classique.
La fleur au fusil
Nul doute que Mme Buzyn part au combat la fleur au fusil, avec un optimisme qui doit être aussi aigu que bref puisque, pour elle, la campagne sera limitée à quelques semaines. Rien n'assure l'ancienne ministre de l'emporter contre des personnalités plus aguerries qu'elle. Bien sûr, elle risque d'être écrasée par une machine impitoyable. Mais au fond, si Macron lui a demandé l'impensable, c'est parce que le pire n'est pas toujours sûr. Ce qu'il veut, c'est qu'elle réitère l'exploit qu'il a lui-même accompli : venu de nulle part, ou presque, jamais élu, il s'est présenté à la présidence de la République et a été élu. Il souhaite qu'elle fasse de même avec la mairie de Paris.
Du coup, on comprend bien que la bonne qualité des autres candidats marcheurs, de Mounir Mahjoubi à Stanislas Guérini, ne suffisait pas pour engager une bataille à suspense et à rebondissements. Mme Buzyn n'est peut-être pas la plus compétente pour Paris, les dossiers sociaux lui sont plus familiers, elle n'a jamais songé jusqu'à présent à devenir maire de la capitale. Mais elle apporte au débat une personnalité nouvelle, apolitique d'une certaine manière, et comme l'a montré la passation des pouvoirs à Olivier Véran, son successeur au ministère de la Santé et des Solidarités, elle parle avec franchise, avec émotion, avec ferveur. C'est un atout. C'est une femme proche des gens et, quoi qu'en pensent ses nombreux adversaires, une femme de cœur qui apportera aux municipales une fraîcheur que n'ont pas Mmes Hidalgo et Dati.
Tout cela part du sens de l'esbrouffe et de la provocation qui caractérise le chef de l'État, Emmanuel Macron, depuis qu'il a décidé, en 2017, de se présenter à la magistrature suprême, sans troupes, sans mandat électif, sans grande perspective. Il a demandé à Agnès Buzyn de faire un coup à la Macron et c'est, apparemment, ce qui l'a séduite. Elle ne va pas l'emporter ? Pas sûr. Mais elle est tout ce qu'il y a de plus sincère quand elle dit qu'elle part pour gagner. La différence, avec sa candidature, c'est que toute autre personnalité politique de la REM serait allée à la bataille avec la quasi-certitude de perdre, se serait contentée de ramasser les morceux de la REM à Paris et aurait accompli un baroud d'honneur. Ce n'est plus le cas.