En tant que dermatologue et spécialiste en médecine interne, j'ai toujours regretté que le malade consultant pour une dermatose ne soit souvent considéré et examiné seulement au niveau de la peau. Or la plupart des maladies cutanées et je ne parle pas des petits désagréments dysesthétiques, sont reliés à un trouble interne pour ne pas dire systémique. Prenez l'exemple de l'acné chez la femme, et le rôle non contesté des hormones. Concernant des maladies aussi graves que la dermatite atopique (DA), les seuls messages qui semblent aujourd’hui donnés par la profession sont qu'il faut hydrater la peau et utiliser les dermocorticoïdes. Ce qui est nettement insuffisant, car si la peau sèche va faciliter l’expression d’un eczéma, elle n’en est pas la cause. Or cette maladie dont le pronostic est effroyable, la qualité de vie extrêmement perturbée, trouve son origine dans de nombreux organes, comme le tube digestif. Les malades s’expriment dans les forums et font l’amer constat qu'on leur remet les mêmes traitements sans prendre en compte les facteurs qui sont à l'origine.
Pendant longtemps, alors que les autres disciplines médicales approfondissaient leurs approches, la dermatologie ne considérait la peau que comme un organe isolé, oubliant ses relations avec le système immunitaire, avec les hormones, avec les poumons, l’intestin, le foie… Cette période qui a suivi la description et le classement des maladies dermatologiques devrait prendre fin pour qu’enfin les dermatologues retrouvent ce qu’ils auraient toujours dû demeurer : des dermatologues internistes. Car il est triste de constater que l'urticaire chronique (UC) est devenue peu à peu une maladie dont les causes auraient disparu pour ne se contenter que de prescrire des antihistaminiques. Lorsque l'on sait que cette dermatose peut être la révélation d'une maladie infectieuse virale, bactérienne ou parasitaire, qu’elle peut être le premier signe d'une maladie auto-immune ou même d'un lymphome, il est regrettable que nul n'insiste sur ces points.
Il a fallu la venue des biothérapies pour qu'enfin le psoriasis soit reconnu comme une maladie systémique avec son cortège de pathologies associées. Bien que le psoriasis soit connu pour être lié à une dépression dans 50 % des cas, trop peu de malades sont pris en charge sur ce point par le dermatologue. Le dermatologue ne doit pas être seulement le spécialiste du tégument, mais bien de la « peau » !
Curieusement la dermatologie est la seule discipline, où le malade a besoin de consulter au moins cinq fois pour trouver ou ne jamais trouver de réponse à son problème. Est-ce normal ?
La dermatologie doit être exercée mais surtout enseignée comme une discipline de « médecine » avec un questionnement du malade, un examen clinique qui ne se résume pas à l'examen de la peau. Si on a fait la promotion du dermatoscope, ce n’est en examinant le cuir chevelu que l'on trouvera la cause d'une chute de cheveux !
Le nombre de malades qui sont en errance diagnostique en dermatologie est considérable. Une attention approfondie, la recherche et la découverte d'un état dépressif, d’un agent infectieux, d'une maladie inflammatoire du tube digestif, d'un trouble de coagulation… permettra de traiter efficacement une urticaire, une pelade, une pustulose, une vascularite…
À force de s'isoler et de ne considérer que le tégument, les dermatologues ont abandonné le champ de l'allergologie, refusant pour la grande majorité d'entre eux le rôle des allergies ou des intolérances alimentaires. Ils ont laissé la médecine vasculaire aux angiologues, ils ne s'occupent quasiment plus des IST dont ils étaient les spécialistes. Que reste-t-il donc aux dermatologues désormais s'ils ne veulent pas s'impliquer davantage dans la prise en charge systémique des malades ? Les cosmétiques et les médicaments topiques ?
Seule la cancérologie cutanée a été préservée, avec des centres hospitaliers très impliqués et très en avance dans la prise en charge thérapeutique du mélanome. Mais cela ne suffit pas à former un dermatologue dans tous les aspects de cette spécialité où une brûlure buccale, une aphtose chronique ne peuvent être résolues par des bains de bouche, mais bien par la prise en compte des déficits vitaminiques associés, d'un trouble psychique concomitant, d'une maladie inflammatoire du tube digestif sous-jacente…
Pendant des années les dermatologues ont combattu des idées évidentes pourtant reconnues par d'autres. Le rôle de l'alimentation a été effacé des causes de l'acné et de la DA. Ce sont d'autres spécialistes qui communiquent à ce sujet, les pédiatres, les allergologues, les gastro-entérologues. Cette force d'inertie est si puissante que 90 % des publications scientifiques sur les causes réelles de la DA sont faites en dehors des journaux de la spécialité dermatologique.
Si l'on peut saluer l’enquête conduite par la Société Française de Dermatologie, qui montre que la dermatologie concerne un malade sur trois, on ne peut qu'encourager les enseignants à véritablement s'impliquer dans une formation systémique de notre discipline. Combien de jeunes patients ont vu leur maladie de Hodgkin décelée avec des mois de retard après avoir consulté maints spécialistes pour un prurit. Lorsque l'on sait que le prurit est le mode de révélation des lymphomes chez le sujet jeune, comment concevoir que le premier dermatologue consulté ne l'ait pas recherché. Tant qu’on enseignera à nos étudiants que devant un prurit il faut « éliminer » une maladie de Hodgkin et non pas qu’il faut la « rechercher », la spécialité n'atteindra pas la qualité de celle des autres disciplines.
* Spécialiste en dermatologie et médecine interne
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