La recherche médicale est un droit à l’espoir, pour les personnes actuellement malades, leurs familles, et pour les personnes qui deviendront malades un jour : nous tous. Elle relève donc de la responsabilité de tous, personnes normales volontaires, indispensables à certaines études, et personnes malades.
C’est une sorte de devoir, né de la gratitude vis-à-vis des personnes dont la participation à la recherche a transformé la santé des hommes depuis la deuxième moitié du XXe siècle : les chercheurs et les médecins qui l’ont imaginée, planifiée puis réalisée et les malades qui l’ont voulue ou acceptée. Nous trouvons tout naturel d’être ce que nous sommes : des personnes du vingt-et-unième siècle vivant en bonne santé pendant une durée jamais égalée à ce jour, plus de soixante-quinze ans, là où, un siècle plus tôt, on mourrait avant soixante ans.
La bonne surprise du vingtième siècle a été que l’allongement de la vie s’est accompagné d’une « compression de la morbidité », mesurée dans les pays riches et bien structurés. Cela signifie que non seulement notre vie totale est plus longue mais que, de plus, notre vie en bonne santé l’est aussi. On ne se traîne pas misérablement pendant quelques années après la retraite à 65 ans, chargé de handicaps de tous types. Nous ne finissons pas aveugles : les cataractes sont opérées et les glaucomes dépistés. Nous ne sommes ni paralysés ni aphasiques, car le traitement de notre pression artérielle, même modérément élevée, a diminué la fréquence de la paralysie brutale, l’apoplexie, partielle ou totale, transitoire ou permanente. Si nous avons la chance ou la volonté de ne pas vivre seuls, nous échappons à la dépression et à l’isolement affectif, intellectuel et social. Enfin, si les personnes âgées sont respectées et aimées et si les petits-enfants ou arrière-petits-enfants le comprennent, l’équilibre social sera préservé, condition indispensable à la bonne santé de tous.
Le progrès, c’est les autres
Tout cela est considéré comme naturel, comme si tout s’était mis en place sans effort. Pourtant, qui a permis d’en arriver là ? Nous-mêmes ? Quelle suffisance ce serait de le croire ! Les autres, en réalité ! Totalement les autres ! D’abord les personnalités politiques et paradoxalement parfois militaires qui ont empêché de nouvelles guerres, de Monnet à Sadate et Rabin. Puis ceux qui ont développé les systèmes de protection sociale, les successeurs de Bismarck, Beveridge et Laroque. Les chercheurs qui ont découvert depuis Pasteur les vaccins et depuis Ehrlich et Fleming les sulfamides et les antibiotiques, les antihypertenseurs et les antiviraux, après celui qui avait introduit l’hygiène dans les maternités, Ignace Philippe Semmelweis. Les innovateurs, qui, en dehors du monde médical ont mis au point, sans cesse, des méthodes de diagnostic : génétique, biochimie, imagerie.
Des millions de personnes qui ont accepté que des études cliniques soient réalisées sur elles et avec elles, et des dizaines de milliers de personnes normales volontaires ont préparé, de manière tout aussi importante que les personnalités précédentes, l’allongement spectaculaire de notre durée de vie et notre confort actuel. Pour chaque examen nouveau, pour chaque molécule nouvelle, il a bien fallu une première administration à une première personne. Pour le développement et l’utilisation quotidienne, banalisée, des médicaments et des tests diagnostiques, nous avons une dette vis-à-vis de tous ceux qui ont participé à la recherche médicale avant même notre naissance.
Nous avalons nos médicaments contre la douleur, le cancer, les infections bactériennes et virales, la maladie de Parkinson, les maladies cardiovasculaires sans nous rappeler qu’il a d’abord fallu les étudier chez des volontaires qui nous ont ouvert l’accès à ces traitements, pour que soient démontrés avant l’exposition de millions de personnes, l’efficacité, l’innocuité et la qualité des traitements et des stratégies thérapeutiques. Ce que d’autres ont fait pour nous autrefois ne devrait jamais être oublié : les premiers essais thérapeutiques contrôlés randomisés remontent à 1947 (la streptomycine et la méningite tuberculeuse) ! Même la définition de ce qu’on appelle des valeurs normales a nécessité la contribution volontaire de personnes qui n’étaient pas malades mais avaient accepté d’être étudiées et suivies parfois pendant des dizaines d’année, comme dans la petite ville de Framingham, dans le Massachussetts, aux États-Unis.
Si ces études sur des personnes humaines, maintenant mieux informées et plus protégées, n’étaient plus faites pour les autres aujourd’hui, la chaîne du progrès médical s’arrêterait. Une génération ingrate aurait accepté d’avoir reçu sans rendre… Et pourtant, le coût humain du progrès est lourd : tous les mineurs morts de manière aiguë ou chronique dans les mines de charbon, les astronautes d’Apollo VI, les noyés des barrages, les irradiés de Tchernobyl… La médecine apporte malheureusement sa contribution.
La thalidomide prescrite sans besoin médical bien défini pendant les grossesses a fait naître des enfants sans bras, mais, un demi-siècle plus tard elle est devenue le médicament de maladies rares et graves du sang et des vaisseaux. Le diéthylstilbestrol, prescrit selon un raisonnement simplifié de remplacement d’hormones oestrogéniques manquantes dans les grossesses difficiles, a provoqué le cancer de la vulve de la petite fille et des anomalies génitales retrouvées sur plusieurs générations. La streptomycine prescrite pour sauver la vie des tuberculeux a créé des surdités parce que les doses utiles et dénuées de risque étaient inconnues. Elles ont été vite connues, et le même tâtonnement n’a pas été reproduit avec d’autres antibiotiques. Les anti-arythmiques ont-ils engendré des morts subites : on a appris que les hypothèses médicales seules ne suffisent pas pour prescrire des médicaments au nom d’une apparente logique. Ce n’est pas parce que des anomalies de l’électrocardiogramme sont prévenues par un traitement, que ce traitement empêche la mort subite, bien au contraire, il l’induit.
La façon dont les médecins cliniciens chercheurs menaient autrefois des études cliniques sur eux-mêmes ou sur des volontaires sains, est surprenante pour ceux et celles qui sont maintenant habitués au cadre réglementaire construit peu à peu depuis 1988 en France à partir de l’indispensable Loi Huriet- Sérusclat. L’envie sincère de liberté, la quête rapide de nouveauté, le goût de l’action immédiate pouvaient être les moteurs de la recherche, en particulier sur soi-même, telle qu’elle n’est plus acceptée aujourd’hui.
À titre d’exemple, on se souviendra de Marshall qui dans les années 1980 n’hésita pas à valider sur lui-même son hypothèse d’un lien causal entre infection par Helicobacter Pylori et ulcère gastro- duodénal. Il sollicita plusieurs gastroscopies et biopsies et en pratiquant l’auto-administration de colonies de « Campylobacters » provenant d’un malade atteint d’ulcère permit de comprendre qu’ une maladie que l’on disait psychogène, était en fait une maladie infectieuse guérissable par les antibiotiques… Il résista, dit-on, au torrent de reproches qu’il reçut de son épouse qui mettait en doute son équilibre psychologique.
Pas de risque zéro
Tout est-il bien aujourd’hui, et n’y aurait-t-il plus de risques ? Hélas, non. En 1996, un élève infirmier de 19 ans, Hoiyan Wan, est mort après reçu une dose de lignocaine pendant une bronchoscopie pratiquée dans une étude sur la pollution de l’air. En 1999, Jesse Gelsinger, dans une étude de thérapie génique d’un déficit d’enzyme hépatique sans gravité immédiate, est décédé. On découvre que des éléments de toxicologie avaient été sous-estimés, et que l’information donnée sur les risques était incomplète. En 2001, la mort d’une infirmière de vingt-quatre ans, Hélène Roche, au Johns Hopkins Hospital, lors de l’utilisation en aérosol d’un vieux médicament, l’hexamethonium, est encore venue rappeler que les multiples précautions à prendre ne le sont pas toujours. À Londres, en 2006, un anticorps monoclonal dirigé contre un récepteur des lymphocytes humains, préalablement testé chez des singes, a entraîné un état de choc chez quatre personnes normales volontaires. L’accident aurait pu être minimisé si une seule personne avait d’abord été étudiée soigneusement, au lieu d’en exposer quatre en une seule matinée, à quinze minutes d’intervalle.
Pourquoi va-t-on trop vite ? Pour être célèbre, pour satisfaire sa curiosité scientifique ou pour gagner plus vite plus d’argent ? Ou au contraire, pour être méthodologiquement parfait ? La France est confrontée aujourd’hui à une première personne volontaire qui décède dans les conditions de recherche soigneusement définies malgré les améliorations permanentes survenues depuis 1988. Tout sera compris sur ce qui s’est passé : plus ou moins difficilement, plus ou moins vite, mais, quoiqu’il arrive, les détails devront être connus de tous, parce que nous sommes tous concernés. La catastrophe de Rennes rejoindra dans l’amélioration des pratiques toujours nécessaire les rarissimes mais terribles catastrophes antérieures survenues dans d’autres pays. Tous les médecins qui participent à la recherche, à des places les plus diverses, méditeront sur cette histoire, et l’intérioriseront. Tous les malades et les volontaires sauront encore plus que le risque existe comme dans beaucoup d’activités de la vie courante.
Comprendre les erreurs
Quand on dit risque, au double sens de probabilité et de nocivité, que perçoit réellement chacun d’entre nous, conducteur de moto ou voyageur d’avion, face à une probabilité de un pour mille à un pour un million ? En dépit de ces accidents douloureux et exceptionnels, les espoirs sont nombreux. Des médicaments anticancéreux ont tué les cellules normales en même temps que les cellules cancéreuses, mais on a appris à trouver l’écart entre dose efficace et dose toxique par des études cliniques soigneuses de recherche des doses optimales ! La génétique fait lever l’espoir d’une médecine qui prédira le métabolisme des médicaments dans l’organisme, et définira quelles personnes doivent être traitées par tel médicament ou par tel autre. On continuera donc la recherche non pas par plaisir, par curiosité intellectuelle, par arrivisme ou par vénalité, simplement parce que c’est notre devoir individuel et collectif.
L’analyse approfondie de tous ces drames doit contribuer à faire comprendre les erreurs à éviter. Ainsi à partir de bases solides et transparentes, non disponibles dans le mois qui suit un accident, peut-on espérer améliorer les règles de bonne pratique voire les réglementations. L’extrême rareté des accidents ne doit pas être soulignée dans le but de rassurer. Ce qui doit rassurer, c’est la prise de conscience permanente qu’un accident peut toujours arriver au moindre relâchement de l’attention, et que la confiance des personnes qui apportent leur maladie ou leur normalité à ceux qui travaillent en recherche clinique méritera toujours plus d’attention. À chaque fois, ce que l’on a découvert avec regret et peine, dans la souffrance, a été mémorisé pour mieux protéger la génération suivante, par plus de professionnalisme, plus de précautions ou plus de contrôles. Les souffrances d’une famille et d’un groupe de soignants généreront des progrès, comme le font les analyses critiques et les leçons tirées des catastrophes telles que les typhons, les vagues de chaleur ou de froid, les tremblements de terre, les épidémies, ou les accidents d’avion.
** Le Pr Jean-François Guidicelli est remercié pour sa lecture attentive de l’article et ses suggestions.
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