Comment traduire paper mills ? « Usines à articles », « usines à papiers » « fermes à articles », « moulins à articles »… Il n’y a pas de terminologie française qui s’impose pour qualifier des pratiques d’escrocs mises en évidence depuis moins de dix ans.
« Paper mills », des sociétés commerciales qui vendent des articles
Des sociétés de communication basées en Russie, Chine, Iran et Europe de l’Est emploient des rédacteurs professionnels. Ils écrivent des articles soit en inventant des données soit en utilisant des données transmises par des chercheurs. La publicité de ces articles est faite sur Facebook, X (anciennement Twitter), Telegram ou WhatsApp pour recruter des auteurs avant de soumettre les articles à des revues scientifiques. Les auteurs payent de 1 000 à 10 000 euros, selon la revue et l’ordre des auteurs. Certains rédacteurs en chef acceptent une gratification pour publier un article mais beaucoup ont été identifiés. Ces sociétés commerciales sont en règle avec les administrations locales, elles n'hésitent d'ailleurs pas à recruter ouvertement par le biais de petites annonces, en voici une trouvée sur un site internet : « La publication est réalisée « clé en main » : les articles ont déjà été rédigés, traduits, relus, mis en page, et la revue a été sélectionnée pour la publication. Il ne vous reste plus qu'à choisir le sujet qui vous convient, la place que vous souhaitez occuper dans l'article et à payer. Le prix dépend de la politique de la revue en matière de frais de publication : plus la notoriété de la revue est élevée, plus le coût par position dans l'article est important ». Et l’intelligence artificielle (IA), permet de rédiger plus d'articles et plus rapidement.
« Review mills », la compromission de l’évaluation par les pairs
Lors de la soumission d’un article, l’auteur correspondant propose, pour faire la relecture de son article, des noms d’experts. Il donne une adresse électronique qu’il a créée pour que les demandes d’évaluation lui soient envoyées plutôt qu’à l’expert proposé. L’auteur n’a plus qu’à soumettre une évaluation favorable de son propre article au rédacteur en chef. L’éditeur Hindawi (racheté par Wiley) a été la cible de ces manipulations de l’évaluation par les pairs. Il a retiré de la littérature 8 000 articles en 2023. Tout comme d'autres qui ont dû retirer également des milliers d'articles.
« Citation mills », l’ajout de citations dans des articles
Des chercheurs demandent à des paper mills d’ajouter leurs propres travaux dans des listes de citations à la fin des articles. Cela leur permet d’augmenter la notoriété de leurs publications. Ces sociétés font de la publicité sur des réseaux sociaux. Les frais sont de quelques centaines d’euros par citation. Ces manipulations sont différentes des pratiques des cartels de rédacteurs qui s’entendent pour augmenter les facteurs d’impact de leurs revues en ajoutant des citations.
Comment les éditeurs luttent-ils ?
Des articles inventés à partir de données, voire totalement faux, sont donc publiés. Ils sont bien écrits et respectent les recommandations des revues. On estime qu’environ 3 % des articles seraient faux, cette estimation est certainement basse car une « usine à articles » pourrait publier environ 20 000 articles en dix ans.
Les éditeurs essayent, avec des logiciels, d’identifier des mots ou phrases dans des articles écrits avec une IA. Par exemple, des expressions comme huge information au lieu de big data, p-esteem au lieu de p-value, kidney disappointment au lieu de kidney failure, permettent de suspecter l’utilisation de l’IA. Ils vérifient l’identité des auteurs utilisant des adresses électroniques non institutionnelles de type gmail.com, yahoo.com, etc. Environ 25 % des auteurs n’utilisent pas d’adresse électronique institutionnelle. Les éditeurs demandent aux auteurs un numéro ORCID, sorte de passeport du chercheur en 16 chiffres. Ils n’utilisent plus les adresses non institutionnelles pour solliciter des relecteurs, sauf si elles ont été vérifiées. Des rédacteurs en chef corrompus ont été identifiés.
Dans la plupart des pays, la fraude scientifique n’est ni un délit, ni un crime. Le système peut perdurer tant qu’il y aura des « clients » des paper mills. Je précise cependant que je ne connais pas d’auteurs français qui utilisent des paper mills pour publier.
Pour toute information complémentaire : http://bit.ly/4j3rph6
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