CONTRIBUTION - Madame la Secrétaire d’État,
En tant qu’association nationale de patients, regroupant l’ensemble des pathologies respiratoires, nous vous interpellons à propos d’un sujet qui nous semble crucial pour les malades en situation de handicap.
La nouvelle méthode de calcul de l’AAH, portée par le projet de loi de finances 2022, ne remet pas en question le principe de la conjugalisation pour l’attribution de l’AAH, mais consiste en « la création d’un abattement forfaitaire sur les revenus des personnes vivant en couple », pour le calcul du montant de l’imposition *. Cet abattement fixe sera de 5 000 euros sur les revenus du conjoint non bénéficiaire de l’AAH, majoré de 1 100 euros par enfant.
Le député LR Aurélien Pradié et l’opposition, de LR à LFI, réclament à l’unisson, en lieu et place de ce nouveau mode de calcul, la « déconjugalisation » pure et simple de cette allocation. Santé respiratoire se joint à eux et demande que le montant de l’AAH soit calculé sans tenir compte des revenus du conjoint, contrairement à la règle en vigueur aujourd’hui et qui sera maintenue après le 1er janvier 2022.
Cependant, après un rejet en juin puis en octobre 2021, l’Assemblée nationale a de nouveau écarté cette proposition de loi concernant l’individualisation de l’AAH. Santé respiratoire France s’insurge contre une mesure inique.
Pourquoi nous refusons la réforme du 1er janvier 2022
Le principe de l’AAH est d’aider les personnes handicapées qui ne sont pas en mesure de travailler et donc de percevoir un revenu. Pour celles qui vivent en couple, la conjugalisation de l’AAH les oblige souvent à chercher une source de rémunération pour survivre. Or, cela est souvent impossible, du fait de la nature de la majorité des emplois, de handicaps incompatibles avec l’exercice d’une fonction - voire préjudiciable à leur santé.
Afin de justifier la conjugalisation de cette aide, vous avez, Madame la Secrétaire d’État, notamment mis en avant le fait qu’elle constituerait un « minima social de droit commun », à l’image du RSA et de l’Aspa (allocation de solidarité aux personnes âgées), soulignant que l’AAH « est fondée sur la solidarité nationale et plus spécifiquement sur la solidarité entre époux rappelée par le Code civil ».
Nous estimons que cette posture idéologique n’a pas de sens. Le gouvernement argue que ce serait remettre en cause le système de protection sociale à la française, fondé sur la solidarité sociale et familiale. On donnerait, sans distinction, la même allocation aux personnes modestes et « fortunées ». Au-delà de cette considération, cela place la personne handicapée, la famille et les aidants dans des positions parfois financièrement dramatiques, alors que la vie dans ce contexte est déjà éprouvante.
Nous rappelons que le président de la République a fait de l’amélioration et de la simplification du quotidien des personnes en situation de handicap l’une des priorités du quinquennat. Or, il n’est pas possible pour le gouvernement actuel, ni pour celui qui lui succédera après les élections d’avril 2022, de persister dans cette contradiction entre les faits et une volonté universelle, en maintenant ainsi la dépendance des personnes handicapées envers leur conjoint - quels que soient les revenus de ce dernier.
Selon le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, « l’inclusion du handicap est un aspect essentiel du respect des droits humains, du développement durable et de la paix et de la sécurité. Cette inclusion est essentielle à la promesse inscrite dans le programme de développement durable à l’horizon 2030**, à savoir ne laisser personne de côté. » Il a réitéré ses propos lors du lancement, en juin 2019, de la stratégie des Nations Unies pour l’inclusion du handicap.
Ce que nous vous demandons
Madame la Secrétaire d’État, nous vous demandons de décorréler l’AAH du statut marital du bénéficiaire. Cette situation est inadmissible dans un pays qui prône la solidarité. Santé respiratoire France en appelle au bon sens et à l’humanité :
- Non, il n’est pas possible de vivre décemment, pour une grande partie des personnes en situation de handicap, avec une allocation mensuelle réduite à quelques dizaines d’euros du fait d’un revenu du conjoint, souvent modeste par ailleurs.
- Non, il n’est pas non plus concevable ni éthique de faire porter par le conjoint d’une personne handicapée la charge financière des soins et d’un quotidien considérablement entravé par le handicap.
- Non, il n’est pas acceptable d’imposer à deux personnes un lien de dépendance financière. Dépendance qui, de fait, réduit le train de vie du couple et de la famille.
Une personne handicapée a droit à la dignité, grâce notamment à l’indépendance financière.
Dans une véritable volonté d’inclusion et de soutien aux personnes handicapées, la réforme gouvernementale 2022 pourrait proposer les deux systèmes - individualisation de l’AAH ou abattement de 5 000 euros sur les revenus du couple - et laisser le choix à chacun, sachant que beaucoup de ces foyers sont déjà non imposables. Mais cela n’est pas envisagé et nous le déplorons.
Par ailleurs, cet abattement est complexe à mettre en œuvre du fait d’une variabilité possible des revenus du conjoint. La réforme de l’AAH repose donc sur la transparence des revenus en temps réel entre conjoints, au demeurant incertaine, mais également sur la capacité de les déclarer immédiatement.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
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