Dans un rapport sur la santé et le genre paru en 2017, l’INSERM définit ce dernier comme les différences non pas biologiques, mais socio culturelles, qui façonnent les identités féminine et masculine, et influent sur les symptômes, les recours aux soins et leur prise en charge. Cette notion apparaît dans les pays anglo-saxons autour des années 2000 puis s’étend ensuite en Scandinavie et en Allemagne, l’Institut plaidant pour sa prise en compte en France. La médecine du genre a trouvé, outre-Rhin, un relais puissant au sein de la Fédération des femmes médecins allemandes, le Deutscher Ärztinnenbund (DÄB), qui s’est mobilisée sur ce thème dès 1990, sans être réellement entendue à l’époque.
« La médecine de genre a longtemps été assimilée au féminisme », explique la Dr Christiane Gross, généraliste à Wuppertal et présidente du DÄB, « alors qu’en fait, elle a profité de son essor sans y être directement liée ». Pour elle, le meilleur accès des femmes aux postes décisionnels en santé, même si la parité est loin d’y être achevée, a fait évoluer les réflexions et les recherches, tout en renforçant l’idée que « les hommes et les femmes ne sont pas malades de la même façon ». Les maladies ischémiques du cœur en sont, selon elle, l’exemple le plus parlant. Perçu comme la maladie « typique » de l’homme stressé, l’infarctus frappe les femmes avec d’autres symptômes, et ne pas les connaître peut faire passer les soignants à côté de la réalité. De même, de nombreux médicaments n’ont jamais été testés cliniquement chez les femmes, si bien que leurs effets sur elles restent imparfaitement connus. On retrouve cette « masculinité jusque chez les mannequins utilisés pour les crash tests dans l’automobile, alors qu’un même choc n’a pas les mêmes conséquences pour les femmes et les hommes »… À l’inverse, poursuit le DÄB, les hommes font aussi les frais d’une conception unique de certaines maladies, en premier lieu les dépressions, souvent assimilées à des affections « féminines », alors qu’ils l’expriment parfois de manière très différente.
De même, le fait d’être soigné par un homme ou une femme a un effet sur le traitement. « Les femmes semblent mieux adaptées à la prise en charge des maladies chroniques que les hommes, poursuit la Dr Gross, en soulignant les aspects économiques de cette réalité : « les soins chroniques sont plus longs et moins bien rémunérés que les traitements aigus, si bien qu’une réelle égalité tarifaire devrait aussi en tenir compte ». La médecine genrée, conclut-elle, profite à la fois aux femmes et aux hommes, et marque un premier pas vers une médecine plus individualisée.
Mais si la médecine ne tient pas assez compte des spécificités des femmes, les hommes, eux, vivent en moyenne 4,8 ans de moins qu’elles, rappelle la « Fondation pour la santé des hommes » qui œuvre depuis 2006 pour étudier et gommer ces écarts d’espérance de vie. Le Pr Doris Bardehle, professeur de santé publique à Berlin et coordinatrice scientifique de cette Fondation, estime que la mise en avant, dans les médias, des problèmes de santé des femmes, y compris en termes de discriminations et d’accès aux soins, ont fait passer ceux des hommes au second plan, avant que le Covid ne les révèle brusquement au grand jour. Les hommes ont développé des formes plus graves et plus longues, et présenté une mortalité beaucoup plus forte, surtout avant 69 ans, explique-t-elle.
Le fait que les hommes meurent plus souvent d’accidents et de mort violente, se soignent moins et négligent la prévention, n’explique pas à lui seul leur surmortalité, qui justifie des mesures spécifiques dans leur intérêt. Membre de « l’Alliance internationale pour la santé des hommes » basée à Londres, la Fondation déplore que ces réalités restent méconnues, même si les organismes officiels de prévention et d’éducation pour la santé mènent actuellement des campagnes sur ce thème.
Mais les hommes restent aussi les parents pauvres de l’enseignement de la médecine du genre. Si celle-ci est abordée de manière plus ou moins détaillée dans la majorité des facultés de médecine, seule celle de Bielefeld propose un cours sur la santé masculine. Cette université a d’ailleurs été la première à nommer, en 2021, un professeur spécifiquement chargé d’enseigner « la médecine sensible au genre », mais d’autres suivront prochainement. En effet, plusieurs études ont montré la forte appétence des étudiants pour les questions de genre et de santé.
Enfin, quelques structures « genrées » ont été créées récemment, dont un centre de cardiologie berlinois spécialement destiné aux femmes. Le genre est désormais abordé dans plus de la moitié des enseignements universitaires de cardiologie. Des initiatives intéressantes mais insuffisantes, juge la Pr Gabriele Kaczmarczyk, anesthésiste et fondatrice d’un séminaire sur le genre à l’hôpital de la Charité de Berlin. Coordinatrice d’une étude ministérielle sur ces sujets, elle estime que la médecine allemande reste « beaucoup trop centrée sur l’homme », et plaide pour une généralisation de la médecine de genre dans toutes les structures de santé.