La qualité d'un homme d'État n'est pas d'enfermer le sien dans le vase clos de son projet personnel. Elle consiste plutôt à s'adapter aux crises qui se présentent en cours de mandat. Ce n'est pas son credo généreusement égalitaire qui a fait la gloire de John F. Kennedy, c'est d'avoir contraint Nikita Khouchtchev à remballer sa menace nucléaire en 1962. De la même manière, confronté à une crise intérieure très sérieuse, celle des gilets jaunes, le président de la République a éteint l'incendie en déversant des paquets de milliards sur le feu. Il faut se rappeler, pour la bonne compréhension des faits, que le principal argument des protestataires et de ceux qui les soutenaient avec délectation, reposait sur l'insuffisance de la dépense sociale en France. Or c'était un mensonge, car notre pays consacrait alors quelque 56 % de son produit intérieur brut aux dépenses d'assurance-maladie, à la vieillesse et à celles des ministères. En fait, notre taux est le plus élevé d'Europe.
Là-dessus, se produit la pandémie de Covid-19 dont les ravages ne pouvaient être contenus que par un soutien immense à l'économie. On peut être libéral comme Macron, mais cela ne rend pas aveugle au risque sanitaire. Il a arrêté net la production pendant plusieurs semaines et il a payé les salaires, y compris dans les entreprises privées. En fin d'année, nous saurons combien la pandémie nous aura coûté, mais ce qui est certain, c'est que notre taux de dépense sociale a encore augmenté au-delà de tout ce que nous pouvions imaginer. Qu'est-ce que cela signifie ? Que n'importe personnage au pouvoir en France et en 2019, aurait dépensé sans compter. Et qu'il ne fallait être ni de droite ni de gauche pour le faire. Bien sûr, il y aura toujours des gens dans l'opposition pour reprocher au président sa façon de faire, mais en gros, nous sommes passés d'une nation libérale à une nation socialiste. Bref, Jean-Luc Mélenchon aurait dû applaudir et le fait qu'il s'insurge de nouveau contre les dispositions gouvernementales ne signifie rien, sinon qu'il est candidat à la présidentielle de 2022. Mais Macron, qu'a-t-il fait du dogme ?
Un peu de marxisme dans le programme.
Si je lui posais la question en tête-à-tête, il me répondrait : « Quel dogme ? Le "en même temps", c'est l'absence de dogme ». Mais la lutte contre le virus va beaucoup plus loin. Bien qu'on lui reproche l'impréparation de son gouvernement, le chef de l'État n'est pas responsable du Covid-19. Un autre président aurait fait mieux ou moins bien, mais il n'aurait pas hésité à éviter, par tous les moyens financiers possibles, l'effondrement de l'économie nationale. D'une certaine manière, la pandémie a justifié le refus de Macron de s'enfermer dans une doctrine qui, plus tard, l'aurait empêché de tirer à boulets rouges contre le virus. Il n'y a aucune chance pour que les diverses oppositions, si désireuses de le battre en 2022, le remercient pour sa versatilité positive. Le fait est, cependant, que, s'il a montré ses talents de stratège dans la conquête du pouvoir, il a aussi prouvé qu'il avait assez de souplesse d'esprit pour se mettre à dilapider de l'argent quelque temps à peine après avoir défendu un budget d'austérité. En somme, il a fait cette année du Mélenchon, lequel pourrait s'esclaffer : « Je vous l'avais bien dit, qu'il fallait mettre un peu de marxisme dans votre programme ! »
La différence entre Macron et Mélenchon, c'est que le premier ne tardera pas à serrer la vis dès que l'économie aura repris des couleurs, là où le second aurait poursuivi son vieil objectif de marxiser le pays. Le premier n'est dirigiste que par pragmatisme et parce qu'il n'a pas eu le choix, le second l'est contre vents et marées et même si l'économie se porte bien. Le paradoxe du macronisme ne recouvre donc pas un mystère insondable, mais s'explique par sa flexibilité mentale. Il est l'homme du moment, celui du « en même temps » pour séduire les foules, celui du libéralisme parce qu'il n'y a plus de place en Europe pour le socialisme (et peut-être même pas pour la social-démocratie) et celui du déficit budgétaire et de la dette lorsqu'il devient évident que l'équilibre des comptes est moins un impératif catégorique que la bonne santé des Français.