On ne vit pas les débats particulièrement houleux de l'Assemblée nationale sans recueillir les fruits amers de l'audace du président. La tension entre le pouvoir et les oppositions a atteint son paroxysme et Emmanuel Macron avance comme un funambule sur une corde raide. On ne préjugera pas de l'avenir : il peut, pendant son exercice téméraire, faire une chute violente et emporter le régime avec lui. Cependant, et en dépit des attaques dont il fait l'objet, le couple exécutif reste indemne pour le moment, d'autant que pour chaque 49/3, il s'appuie sur un argument simple : des coalitions conjoncturelles voudraient l'empêcher de gouverner et réduire son second mandat à un sac vide. Il ne s'est pas laissé impressionner. Élizabeth Borne reste impassible et Emmanuel Macron a un agenda surchargé d'actes de politique intérieure et de diplomatie. Il s'est même offert une visite d'État à Washington, considérée, pour autant que l'objectivité existe de nos jours, comme un succès. Enfin, des miracles, parfois, se produisent, comme l'alliance entre Renaissance et Nupes sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution.
On sait pourquoi Macron tient absolument à engager la réforme des retraites : d'abord parce qu'il s'y est engagé en 2017, ensuite parce qu'elle n'exige aucun investissement tout en rapportant beaucoup d'argent, enfin parce qu'il ne veut pas que son second mandat soit du temps perdu. C'est Don Quichotte à l'assaut des moulins à vent et c'est un comportement qui ne manque pas de panache. Il était, de toute façon, l'objet de tant d'aversion qu'il a préféré en payer le prix, mais au moins avec la certitude de changer partiellement le paysage politique et de clouer le bec de ceux qui, curieusement, ont décidé, sous le prétexte qu'il avait gagné l'élection présidentielle de 2022, qu'il n'avait plus rien à faire pour les cinq ans à venir.
Trois Premiers ministres en six ans
Surtout, le président a de la chance, par exemple d'avoir choisi une Première ministre certes discrète et pas spécialement douée de charisme, mais qui maintient ses objectifs contre vents et marées. Le chef de l'État a changé deux fois de chef du gouvernement et ses choix nous ont vite agréablement surpris. Il risquait gros en se séparant d'Édouard Philippe, il a trouvé en Jean Castex un associé plutôt à la mesure de ce que le peuple souhaitait. Il a hésité à nommer Mme Borne, il ne s'attendait à ce qu'elle fût aussi efficace, utile et dévouée. La méthode Macron est tout de même surprenante : il fait la cour quotidiennement à la droite classique pour qu'elle le rejoigne et comme elle reste sourde à son chant de sirène, il lui démontre, jour après jour, qu'elle ne lui est pas tellement indispensable. D'ailleurs, tous les efforts de LR pour se réorganiser, se donner un chef et commencer à compter ne sont pas couronnés de succès.
De sorte que Renaissance est bel et bien le premier parti de France, que le désordre est plus grand dans les têtes que dans les rues, que la gestion du pays avance bien que Macron ne dispose pas de la majorité absolue. Qu'on le veuille ou non, c'est un tour de force et il est de nature démocratique. Les oppositions ne juraient que par l'affaiblissement de l'exécutif, elles se sont lourdement trompées. Ce sont elles qui s'affaiblissent, elles qui ne savent pas s'unir, elles qui n'ont que le mépris à la bouche mais ne proposent rien en échange du programme de Macron.
On se gardera de tirer des plans sur la comète. Ce qui est clair, c'est que le départ à la retraite n'aura pas lieu avant 65 ans. Que l'on veillera à ne pas pénaliser ceux qui ont commencé très tôt leur carrière et partiront plus tôt. Que les seniors seront protégés contre la menace d'un licenciement à 60 ans ou plus qui les mettrait au chômage plutôt qu'à la retraite. On peut être contre, on ne peut nier l'ampleur de cette réforme colossale, qui est un événement historique en France mais existe peu ou prou dans le reste de l'Europe.