Mme Borne n'aurait pas mérité le sort auquel elle semblait vouée et que seul le pire des cynismes aurait justifié. Elle n'a pas démérité. Et si elle manque de charisme, si elle semble parfois glaciale, bien qu'elle tente de corriger cette image, personne n'attend d'elle un numéro de séduction. Il faut la prendre telle qu'elle est, c'est ce qu'a fait le chef de l'État. Avec d'autant plus de vitesse qu'il la charge d'un sale travail : pêcher les 45 voix qui manquent à la majorité pour chacun des dossiers urgents et nombreux qu'il faut traiter.
On se doute que ce ne sera pas tâche aisée, mais nous sommes déjà tous sortis des législatives et nous regardons tous l'horizon. Si l'opposition fait de l'obstruction, contrairement à ce qu'elle a promis, Macron se séparera de la cheffe du gouvernement et dissoudra l'Assemblée nationale. Ce n'est pas souhaitable. La question du pouvoir d'achat, celle du climat, celle des déficits exigent des réponses claires, immédiates ; elles ne peuvent pas attendre. Tout le reste, les complaintes éternelles sur le flou entretenu par Macron au sujet de ses intentions, la majorité qu'il n'a pas tout en l'ayant, les propositions qu'il n'a pas faites mais auxquelles en vérité les oppositions sont restées sourdes, tout cela ne compte pas. Cessons de projeter de notre vie politique une image détestable et infantile : le monde nous regarde et a besoin de savoir que nous, les Français, ne sommes pas devenus fous.
On imagine sans peine le chemin semé d'embûches qui offrira à Mme Borne ses vacances estivales. Mais l'irrédentisme des oppositions correspond davantage à une posture qu'à des convictions : la droite et la gauche seraient-elles assez bornées pour se satisfaire d'un théâtre de Guignol ? Qui est contre, en France, l'amélioration du pouvoir d'achat de nos concitoyens ? Voilà une décision qui devrait être adoptée à la majorité totale, sans négociation. Je vois le même consensus concernant l'Ukraine. Certes, on ne débarrassera pas aussi facilement la Nupes et le RN de leurs tendances pro-Poutine. Mais qui, en France, peut avaliser le massacre d'un peuple et la destruction de son territoire et de sa culture ?
Moi d'abord
D'autant que les dangers viennent parfois de l'ouest. Tout à coup, voilà que la Cour suprême des États-Unis abolit l'IVG, commettant le triple crime de supprimer un droit acquis par les Américaines il y a un demi-siècle, d'exercer son magistère sans égards pour le Congrès et pour le président, et d'incendier la gauche du pays. La surprise est telle qu'elle a fait réfléchir tous les peuples, français compris. Les Françaises ont un accès normal à l'IVG mais qui sait si, un jour, une vague ultra-conservatrice ne tenterait pas d'imiter la Cour suprême ? Bien entendu, l'affaire a déjà donné lieu à une bagarre entre la République en marche, dont Aurore Bergé a proposé une loi de défense de l'IVG en France et la Nupes qui affirme, « c'est moi la première qui l'ai demandé ». Nous resterons tous des plaideurs jusqu'au dernier souffle et ce débat d'ego indique clairement comment un consensus naissant est transformé en foire d'empoigne.
Mais il y a consensus. Alleluiah ! Il y a une majorité pour défendre le travail historique de Simone Veil. Alors, voilà, la direction est trouvée. Au lieu de se chamailler sur les lenteurs d'un pouvoir qui se remet à peine de la gifle des législatives, on ferait mieux de voir dans quelles zones un accord est possible. N'attendons pas des oppositions qu'elle servent l'intérêt général au détriment de ses calculs politiciens. Mais il ne suffit pas d'être élu, chaque député, chaque sénateur travaille sous le regard des électeurs. Il semble que 70 % de nos concitoyens sont contents d'avoir privé Macron de la majorité absolue. Parions qu'ils seraient favorables à ce que le président conclue des accords avec les oppositions et rende au pays la stabilité que la Constitution est censée lui garantir.