Les gagnants, Les Républicains et la gauche, clament leur victoire. Les perdants, RN er REM, affectent de voir dans les élections de juin 2021 un épisode éphémère, sans conséquences sur les rendez-vous de l'année prochaine. La « prime aux sortants » peut en effet s'apparenter à un phénomène isolé et le triomphe des gagnants cachent leurs divisions annonçant un chemin chaotique jusqu'à l'élection présidentielle. Marine Le Pen a tenu un congrès plutôt morose de son parti et a réagi à son échec en conservant la même ligne et le même programme, alors que les menaces s'amoncellent, par exemple une abstention qui confirmerait la désaffection, ou la concurrence éventuelle d'Éric Zemmour.
Elle a, évidemment, un immense besoin de respect et de crédibilité. Elle a réussi sa dédiabolisation, qu'elle ne veut pas compromettre en se radicalisant, comme la pressent de le faire nombre de ses conseillers. Mais, objectivement, elle est dans une impasse. Elle manque de cadres et de chefs de file ; son parti contient des éléments néo-fascistes qu'elle ne contrôle pas vraiment ; le RN esr noyé dans des dettes faramineuses. Il lui sera difficile de franchir le cap du second tour si toutes ces menaces s'accumulent et la perte de 9 % d'électeurs par rapport aux régionales de 2015 montre que le parti s'use, bien qu'il n'ait jamais conquis le pouvoir.
Il est logique de dire que la REM traverse une crise comparable : incapable de conquérir une seule région, elle a beaucoup souffert de l'usure du pouvoir et son passif est au moins aussi volumineux que ses réformes. C'est un parti mort-né mais qui, du coup, perd tout intérêt stratégique, ce qui veut dire que le président de la République est plus que jamais convaincu qu'il doit pratiquement aller seul à la bataille et ne compter que sur lui-même, exactement comme il l'a fait en 2017.
Bertrand le perturbateur
Ces divers éléments tendraient à indiquer que la répétition du match de 2017, tant décrié par les Français, est inéluctable. Il se trouve toutefois que, grâce à sa victoire dans les Hauts-de-France et à une cote de popularité de 18 %, Xavier Bertrand parle maintenant de « match à trois ». C'est une analyse mais pas un pronostic certain. Elle n'est valable que si la cote de M. Bertrand augmente encore jusqu'à atteindre ces 24 ou 25 % qui lui ouvriraient les portes de l'Élysée. Cependant, le nombre d'électeurs ne dépasse jamais 100 %, de sorte que, pour s'en offrir un quart, M. Bertrand doit se débarrasser d'un des deux autres candidats. Il est peu probable qu'il réussise à entamer la part de gâteau qui revient à Marine Le Pen et au chef de l'État. Il est plus probable qu'il reste coïncé au-dessous de 20 %.
Pourquoi ? Parce qu'il risque d'y avoir plusieurs candidats de la droite classique à la présidence de la République. M. Bertrand a déjà dit qu'il ne reviendrait pas dans le giron de LR, il se lancera dans la mêlée avec le même sang-froid et la même solitude que celle du président de la République. S'il n'est pas désigné par LR, il aura Wauquiez ou Pécresse en face de lui. Les deux feront valoir que sa non-participation à la primaire LR serait pour eux préjudiciable. On peut vraiment s'attendre à l'éclosion d'un nid de serpents parce que LR n'aura pas choisi le bon candidat (comme ce fut le cas avec Fillon) et aura contre lui un Bertrand ou une Pécresse.
Autant dire que les jeux ne sont pas faits, que la stratégie de M. Macron n'a rien de complexe ou d'original, que si les élections régionales ont bousculé le paysage politique, elles ne l'ont pas changé en profondeur. En revanche, elles ont fait monter des aspirations chez tous ceux qui ont tiré leur épingle du jeu des régionales, sans avoir définitivement défait la REM et le RN. Une fois encore, les partis sont en morceaux, ils ont donné naissance à de petits clans qui se bagarrent, ce qui permet aux figures nationales de trouver la lumière. C'est l'effet même du dégagisme, au nom duquel le peuple réclame le départ d'un héros déchu, mais peut voter pour lui à la dernière minute parce qu'il n'a pas de meilleur choix.