Vie syndicale : le Dr Patrick Gasser, un franc-tireur qui passe le flambeau chez Avenir Spé

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Publié le 14/11/2025
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Le gastroentérologue nantais, président fondateur d’Avenir Spé, majoritaire chez les spécialistes, passe la main à l’occasion du congrès du syndicat monocatégoriel (13 au 15 novembre) à La Baule. Portrait d’un praticien et d’un leader professionnel qui n’a pas hésité à ruer dans les brancards.

La meilleure manière de convaincre le Dr Patrick Gasser de mener à bien un projet ? Lui affirmer qu’il n’est pas faisable. Et c’est cette réaction épidermique qui semble avoir dicté ses choix, tant dans son parcours professionnel que dans son engagement syndical en faveur des spécialistes. En passe de quitter la présidence du syndicat Avenir Spé, qu’il a cofondé avec succès il y a cinq ans, le gastroentérologue de Nantes de 65 ans s’est confié au Quotidien, revenant sur quarante ans de carrière et de combats.

Pour celui qui n’est alors qu’un gamin d’Antony (Hauts-de-Seine), l’aventure qui le conduira à son double cursus – médical et syndical – commence à la fin des années 1970. « Je m’étais un peu intéressé à la politique, sous Giscard… ça n’a pas vraiment tenu », confesse-t-il. En revanche, la médecine, « comme j’étais bon en maths et en physique, ça s’est fait naturellement ». Venant des quartiers « pas vraiment les plus cossus », le jeune homme, 20 ans à peine, enchaîne les petits boulots durant ses études à la fac de Paris Ouest. Il travaille dans les hôpitaux, d’abord en tant qu’aide-soignant puis comme infirmier. « Je me rappelle très bien mon premier jour. C’était à Sainte-Anne : j’arrive un dimanche à six heures du matin, dans cette grande allée. Il y avait un bassin et je vois un chat passer à fond les ballons qui plonge dans la flotte. Je me suis dit “ça commence bien, même les chats sont dingues ici” ». Une heure plus tard, il découvre la réalité de la toilette à prodiguer aux patients et de la prise en charge de la personne âgée dépendante. Mais aussi du travail en équipe, « tous grades » confondus. Une expérience qui laissera des traces chez le futur docteur. « L’humain ! Mon parcours syndical vient beaucoup de mon parcours hospitalier », analyse-t-il.

Suit l’internat à Nantes. Avec un « vrai collectif soudé » et une future sommité comme chef de service, l’hématologue Jean-Luc Harousseau, qui poursuivra en parallèle une carrière politique. Un virus sur le point de rattraper le jeune Patrick Gasser, diplôme de gastroentérologie en poche et déjà « grande gueule » assumée.

Juppé, le tournant politique

C’est en 1996, lors des ordonnances Juppé, que le Dr Gasser saute le pas syndical et fourbit ses armes. Pendant des années, le plan Juppé sera perçu comme un épouvantail synonyme de traumatisme pour la médecine libérale. C’est le moment de rejoindre l’antenne départementale de la CSMF, centrale polycatégorielle dominante, et d’en gravir les échelons pour devenir le président régional des Pays de la Loire.

Dans le groupe de travail de médecine générale, j’étais le seul spécialiste qui planchait sur les maisons et les pôles de santé

À cette époque, le Dr Claude Maffioli est le chef de file charismatique de la Conf’, qui ferraille contre la maîtrise comptable. Le Dr Gasser côtoie un certain Luc Duquesnel, aujourd’hui patron de la branche généraliste de la CSMF. L’un comme l’autre n’ont pas leur langue dans leur poche et se découvrent des atomes crochus. « Ce qui est amusant, alors qu’on me reproche de m’opposer aux généralistes, c’est que j’étais le seul spécialiste dans le groupe de travail de médecine générale qui planchait sur les maisons et les pôles de santé », se remémore le gastro. « Patrick Gasser est un ami. On pourrait partir en vacances ensemble, en dépit des soubresauts qu’il a provoqués au sein de la CSMF », acquiesce le généraliste mayennais, qui se souvient avoir vu son « pote » gagner avec brio la présidence de l’Umespe, la puissante antenne « spé » de la maison confédérale, en 2014.

Émancipation

Aux manettes de la branche spécialiste, le Dr Gasser, président de l’URPS des Pays de la Loire, entend jouer la carte des régions et de la « base » oubliée. Il souhaite offrir davantage de « visibilité et de reconnaissance » aux disciplines cliniques dont certaines sont « en danger », comme les endocrinologues, les pédiatres ou les psychiatres. 

À la CSMF, c’est le début des grandes manœuvres. Le généraliste Michel Chassang, président emblématique, sort de trois mandats successifs et c’est un outsider, le néphrologue Jean-Paul Ortiz, qui remporte les élections confédérales haut la main. Lui et Patrick Gasser s’apprécient et les deux spécialistes travailleront main dans la main, du moins un temps. Jusqu’au « clash » de 2020, qui débouche sur la création d’Avenir Spé, syndicat autonome qui quitte avec fracas le giron de la CSMF avec nombre de « verticalités ».  « Notre départ exprime la nécessité d’un renouveau du syndicalisme médical avec la volonté de fédérer tous les spécialistes autour d’une grande représentation unique », assume le gastroentérologue.

Ce schisme préparé aboutit ainsi à l’émancipation d’un syndicat monocatégoriel, désormais tout entier consacré aux revendications des spécialistes libéraux, miroir de MG France chez les généralistes. Pari réussi : l’alliance d’Avenir Spé avec Le Bloc, organisation solidement implantée parmi les plateaux techniques, cartonne aux élections professionnelles de 2021, avec près de 40 % des suffrages dans le collège spécialiste. 

« Clivant parce qu’il le fallait »

Au-delà de ce pied de nez, c’est l’avenir de la médecine libérale qui continue de l’inquiéter. Son leadership chez les spécialistes lui a certes permis de peser dans les négociations avec la Cnam, qui ont abouti à la signature de la convention de l’été 2024 : à la clé, revalorisations des honoraires des spécialités en bas de l’échelle des revenus, engagement de réévaluation de la CCAM technique, en échange d’un accord sur la consultation de médecine générale à 30 euros… Un « deal honnête », juge-t-il, jusqu’au gel des revalorisations des spécialités concernées (pour six mois), après l’avis du comité d’alerte cet été.

Au moment de passer la main, le Dr Gasser assume « d’avoir été clivant parce qu’il le fallait ». Et les sérieuses menaces qui pèsent aujourd’hui sur le secteur 2 et les spécialités taxées de rentières laissent à penser que son successeur ne sera pas forcément plus consensuel.


Source : Le Quotidien du Médecin