Depuis cet été, 500 médecins généralistes « surprescripteurs » d’arrêts de travail sont ciblés par une « mise sous objectifs » (MSO), procédure destinée à réduire leurs prescriptions de 20 à 30 % pendant six mois. Sollicités par Le Quotidien, trois médecins généralistes concernés par cette campagne 2025 –2026 ont accepté de témoigner.
Tous expliquent avoir été contactés d’abord par téléphone par l’Assurance-maladie pour leur expliquer qu’ils allaient recevoir un courrier recommandé concernant cette fameuse MSO pour leurs prescriptions jugées excessives d’arrêts de travail (au minimum deux fois celles de leurs confrères à patientèle comparable, précise la Cnam).
De quoi vous m’accusez ?
Dr Maxime Balois, généraliste à Roncq
Mais ce premier contact ne se passe pas toujours très bien, comme le confie le Dr Maxime Balois, généraliste installé à Roncq (Nord), près de la frontière belge. « C’est le directeur financier de la caisse primaire d’Assurance-maladie qui m’a annoncé que j’allais recevoir un courrier recommandé. Je lui ai demandé : de quoi vous m’accusez ? Il a répondu que ce n’était pas une accusation. Mais l’échange a été très tendu. »
Ce sentiment de mise en accusation est partagé par une consœur du Rhône, qui préfère garder l’anonymat. « La Caisse m’appelle en pleine consultation pour annoncer une mise sous objectif ! On ne comprend rien, juste qu’il y a un problème. J’ai eu beaucoup de mal à finir ma journée ce jour-là. »
Quel accompagnement ?
La procédure se poursuit avec l’envoi du courrier recommandé, demandant aux praticiens de faire leurs observations et commentaires sur leur niveau de prescriptions d’IJ par patient actif, soit par écrit ou par un entretien avec leur caisse primaire. Mais là aussi, le contenu du courrier agace les médecins. La missive évoque des « actions d’accompagnement graduées », autrement dit un échange constructif que les médecins interrogés ne perçoivent pas du tout. « Cette phrase est fausse. Je n’ai jamais eu d’accompagnement », s’indigne le Dr Balois.
Surtout, les chiffres individuels avancés dans le courrier de l’Assurance-maladie sont jugés « contestables ». Alors que la Cnam explique avoir affiné son approche statistique, en créant des profils personnalisés et en comparant chaque médecin à leurs pairs dans des zones de même fragilité socio-économique, tout en lissant les différences en termes d’âge, d’ALD ou de précarité, ce discours ne convainc toujours pas les trois omnipraticiens ciblés.
Contexte individuel ignoré
Lors de sa rencontre avec la caisse locale, le Dr Balois déplore que ce qu’on lui reproche, à savoir 13 jours d’IJ par patient et par an, « est impossible à vérifier car la méthode est biaisée ». Dans son bassin de vie, contextualise-t-il, « il y a beaucoup de travailleurs exposés à des troubles musculosquelettiques et aussi beaucoup de burn-out. C’est mécanique : plus vous suivez de personnes qui travaillent, plus il y a d’arrêts », explique celui qui est aussi vice-président de l’UFML-S… et conseiller ordinal. Pour lui, accepter une MSO équivaudrait à reconnaître qu’il prescrit « 20 % d’arrêts en trop », ce qui reviendrait à admettre la rédaction de faux certificats ou d’arrêts de complaisance. « Je serais fautif sur le plan déontologique, or ce n’est pas le cas », se défend-il. Son avocat a envisagé une plainte pour « procédure abusive ».
La généraliste du Rhône insiste elle aussi sur la spécificité de sa patientèle et de son mode d’exercice. « Je vois beaucoup de souffrance au travail, de psychiatrie, d’addictologie », explique la médecin déconventionnée depuis quatre ans. « Forcément, ça conduit à des arrêts longs, de cinq ou six mois. Mais lors de la réunion contradictoire, personne n’a voulu entendre mes explications. C’était une fausse réunion. Ils ne comprenaient même pas mes réponses. »
La caisse a comptabilisé les arrêts prescrits par mes remplaçants pendant mes trois mois d’arrêt pour une intervention médicale. Est-ce que c’est normal ?
Dr Pascal Dureau, généraliste à Vénissieux
Le Dr Pascal Dureau, installé depuis 30 ans à Vénissieux (Rhône), conteste lui aussi les données statistiques et explique sa situation personnelle. « Il y a plus d'arrêts maladies sur ce secteur où les gens sont plus pauvres, plus âgés, en plus grande difficulté », dit-il. De surcroît, « la caisse a comptabilisé les arrêts prescrits par mes remplaçants pendant mes trois mois d’arrêt pour une intervention médicale. Est-ce que c’est normal ? ».
Au bout de ces échanges, la procédure MSO engagée contre les Drs Dureau et Balois a été abandonnée. Mais ce n’est pas le cas pour la généraliste du Rhône qui a décidé d’accepter une MSO, en changeant ses pratiques. « Mes objectifs de réduction de 9 IJ par patient/an à 7,2 sont faciles à atteindre en six mois, juge-t-elle. Je continue à faire les soins mais pas les arrêts de travail. J’envoie les patients concernés vers les psychiatres et d’autres spécialistes comme les médecins du sport pour des tendinites d’épaule. Le déplacement des IJ est regrettable pour l’accès aux soins des patients… »
Pression budgétaire
Au-delà de leur cas personnel, ces généralistes alertent sur les effets contreproductifs de cette politique de contrôle. « Le bénéfice recherché, c’est quand même de faire peur aux médecins pour qu’ils prescrivent moins d’arrêts. Mais en réalité, quand les médecins ont peur, ils partent ou ils ne s’installent pas », avance le Dr Dureau. La généraliste du Rhône songerait déjà à quitter le pays. « La Sécu m’empêche de faire mon travail, je vais faire reconnaître mon diplôme pour la Suisse qui va manquer de médecins », déclare-t-elle.
Contacté par Le Quotidien, le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, chargé de la cellule juridique de la FMF affirme avoir déjà accompagné 80 généralistes ciblés par la procédure de MSO. « Comparer l’activité des médecins, c’est vraiment très difficile, enfonce l’expert. Un médecin qui fait beaucoup de gardes, de soins non programmés et d’actes urgents prescrit plus d’arrêts de travail que ses confrères. » « Là on est face à une procédure statistique », ajoute le syndicaliste qui décrit « des médecins en pleurs vivant très mal cette situation car c’est une remise en question de leur travail ».
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