Agression en soins non programmés : les femmes médecins plus exposées ?

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Publié le 26/09/2025
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Alors que la profession se féminise, il convient d’analyser plus précisément l’impact du sexe du médecin sur les risques d’agressions physiques ou verbales ainsi que leurs conséquences. Un travail de thèse montre que les consultations sans rendez-vous et les visites au domicile dans le cadre des soins non programmés sont particulièrement à risque pour les femmes.

Face aux violences, les signalements judiciaires et ordinaux restent trop rares

Face aux violences, les signalements judiciaires et ordinaux restent trop rares
Crédit photo : GARO/PHANIE

En 2023, le ministère de la Santé a mis en place une campagne grand public sur le thème « Il faut être malade pour s’en prendre à un professionnel de santé » en réponse aux agressions physiques et verbales que subissent chaque jour 65 professionnels de santé (1). Pour autant, le nombre de signalements n’a pas connu de baisse, loin de là. En 2024, 556 établissements de santé ou médico-sociaux et 665 professionnels libéraux ont effectué un total de 20 961 signalements de violence (contre 18 768 en 2022 et 19 640 en 2023) (2).

En 2022, 71 % des déclarations d’agressions émanaient de médecins généralistes (3), qui n’incarnent que 43 % de la population médicale globale. Et 56 % des plaintes concernaient des femmes, qui ne représentent pourtant que la moitié des généralistes en exercice. « Ce sont ces chiffres – et la sous-représentation des thèses sur la violence prenant en compte les consœurs – qui nous ont incités à nous pencher sur la problématique du ressenti de la violence faite aux femmes médecins. Nous avons choisi le contexte des consultations en soins non programmés qui, en comparaison avec les consultations sur rendez-vous, représentent un facteur de risque supplémentaire d’agression par les patients ou leurs accompagnants », explique au Quotidien le Dr Clément Bortelle, directeur de la thèse de la Dr Emmanuelle Le Port (4). Cette dernière a d’abord analysé l’une des seules thèses déjà écrite sur le sujet en 2012 (5). « À cette époque, et en soins non programmés – en particulier lors des visites au domicile des patients – les femmes médecins ressentaient déjà une plus grande vulnérabilité que leurs confrères masculins, mais cela n’altérait pas leur quotidien. » Qu’en est-il actuellement, alors que la société est de plus en plus violente et que le nombre d’agressions de soignants augmente ? Comment les violences subies par les femmes médecins généralistes en soins non programmés influencent-elles leur exercice ?

Une étude qualitative

Pour répondre à ces questions, la Dr Le Port a mis en place une étude qualitative avec théorisation ancrée sur 15 femmes médecins généralistes exerçant de leur plein gré (et non sur obligation de permanence des soins) une activité de soins non programmés : il pouvait s’agir de rendez-vous pris dans un local de l’association SOS Médecins ou de visites au domicile des patients. Toutes ces médecins travaillaient dans le Grand Ouest et dans un territoire majoritairement urbain et semi-urbain. L’idée était de préciser la réalité ou non du risque d’agression, le ressenti immédiat, les conséquences (répercussions psychologiques et sur l’exercice) et les moyens de protection mis en place avant, pendant et après l’agression.

Toutes les femmes interrogées ont détaillé des situations de violence subies pendant l’exercice de leurs fonctions. Néanmoins, elles étaient divisées quant à la fréquence de celles-ci dans leur métier, établissant un parallèle entre leur expérience et l’augmentation de la violence dans la société en général. Les « agresseurs » étaient généralement des hommes (67 % pour les médecins femmes contre 53 % pour les médecins hommes). La mention de violence perpétrée par les femmes n’a été citée que par quatre médecins. La majorité des situations de violence qu’elles avaient subies étaient initiées par le patient. Parfois, les tiers présents (en particulier au domicile) pouvaient aussi intervenir. L’association entre l’agressivité et les différents troubles psychiatriques ou les personnes souffrant de conduites addictives (à qui une prescription est refusée) a souvent été mentionnée par les praticiennes.

Les personnes interrogées ont ensuite détaillé les situations à risque. La nuit est unanimement citée, et ce, d’autant plus en raison de l’extinction de l’éclairage public dans les rues de certaines villes la nuit. Par ailleurs, et en dépit de leur attrait pour la visite au domicile du patient, cette situation était perçue comme un lieu potentiel d’agression. Pourtant, seuls 3 % des incidents en 2022 ont été déclarés au domicile du patient, contre 54 % au cabinet.

Évitement des situations à risque

Une majorité des interlocutrices estimait que le sexe féminin était désavantagé sur le plan physique par rapport au sexe masculin, notamment en raison d’une force musculaire ou d’une taille généralement moindres. Cette différence pourrait entraîner une vulnérabilité dans certaines situations où les femmes seraient perçues comme étant moins capables de se défendre. Néanmoins, certaines des participantes avançaient de possibles facteurs de protection contre les agressions : meilleure communication, respect en lien avec la religion, comportement non verbal plus chaleureux.

Quant aux incidents vécus, les médecins interrogées ont manifesté une variété de réactions immédiates. La plupart d’entre elles ont cherché à esquiver ou à fuir la situation, en particulier lorsqu’elle se déroulait au domicile. D’autres praticiennes ont privilégié la gestion de la violence par le calme et la discussion. Enfin, deux d’entre elles ont cédé à la demande abusive pour se protéger.

Quel a été l’impact des violences sur l’exercice de ces femmes ? Une peur des représailles, un évitement des situations à risque, une modification des pratiques (travail avec rendez-vous, évitement des visites à domicile), le « blacklistage », l’achat d’un Taser pour l’une des praticiennes… Pour finir, la Dr Le Port insiste sur la rareté des signalements judiciaires et ordinaux, comme si la violence faite aux soignants était un corollaire de la violence dans la société ou que les mesures d’accompagnement des médecins face aux violences étaient très insuffisantes.

(1) https://sante.gouv.fr/grands-dossiers/stop-aux-violences-contre-les-professionnels-de-sante/
(2) https://www.lequotidiendumedecin.fr/sante-societe/politique-de-sante/violences-en-sante-santexpo-le-ministere-met-en-avant-la-tolerance-zero-et-muscle-sa-feuille-de
(3) https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-pa…
(4) Le Port E. Ressenti de la violence par les femmes médecins généralistes en exercice de soins non programmés chez SOS Médecins. Thèse Nantes 2024
(5) Fanara A. Violence des patients : ressenti et vécu des femmes médecins généralistes en Meurthe-et-Moselle. Étude qualitative par entretiens semi-dirigés. Thèse Université de Lorraine 2012

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du Médecin