Il faut prendre cette enquête d'opinion avec des pincettes. Elle a été rarement reprise dans les médias car le travail a été fait sur la population des villes de plus de 10 000 habitants, que la marge d'erreur est large et que le total des intentions de vote est bien plus élevé que 100 %. En outre, 52 % qui déclarent voter vert ne sont pas certains de leur choix définitif, contre 89 % pour le RN et 69 % pour LR. Mais le sondage démontre sans nuances une popularité d'EELV qui fonde l'action de Yannick Jadot : depuis le début de la campagne (et le score de près de 14 % aux élections européennes l'a déjà confirmé), il ne cesse de dire qu'il va ravir sa deuxième place à la République en marche. L'enjeu de la course, c'est bien sûr le second tour de la présidentielle de 2022, où figurera sans aucun doute Marine Le Pen mais où Emmanuel Macron n'est plus totalement sûr de se retrouver.
Le président de la République peut toujours dire qu'il reste en mesure de gagner la présidentielle même s'il perd les municipales ; il peut toujours dire qu'il a deux ans devant lui pour se refaire une santé ; il peut toujours dire, et avec raison que, les deux scrutins (municipal et présidentiel) n'ont aucun rapport. Il n'empêche que le parti politique qui a le vent en poupe n'est pas le sien, que cette échéance introduit un parti égal ou supérieur en électeurs potentiels que le RN et la REM et que les événements qui vont se produire pendant les deux prochaines années seront, sauf surprise, peu favorables aux desseins de la REM.
Non seulement est-on en droit de dire que le pouvoir actuel n'en a pas fini avec la réforme des retraites, mais on peut ajouter que, même s'il gagne cette partie, l'atmosphère, dans la rue française, sera si désagréable qu'il pourrait remporter une victoire à la Pyrrhus. Le gouvernement fait face à un déluge de critiques sévères dans de nombreux domaines : les contribuables ne jugent pas suffisantes les réductions d'impôts ; les citoyens se sentent de moins en moins en sécurité ; les chiffres du chômage ne baissent que très lentement. Or la conjoncture internationale va être plombée par le coronavirus, les guerres commerciales, le Brexit, la réélection probable de Donald Trump et des problèmes climatiques pratiquement insurmontables.
Le schéma de 2017 ne se reproduira pas
Certes, les Verts en général et M. Jadot en particulier semblent avoir vendu la peau de l'ours. Mais, comme on note aussi une remontée de la droite classique, l'électorat du second tour de la présidentielle va se fragmenter et, cette fois, on n'assistera pas au duel qui a valu à Jacques Chirac d'être réélu brillamment en 2002 et à Macron de l'être, dans les mêmes conditions, en 2017. La place du second tour en 2022 se jouera sur des décimes de pourcentage au premier. Ce schéma est d'autant plus probable que le ralentissement de l'économie française est pratiquement inévitable, même si, pour le moment, la France souffre moins de la conjoncure que ses partenaires européens. On a vu comment le peuple a accueilli les réformes de M. Macron. On verra comment il accueillera ses échecs économiques et sociaux.
Les Verts offrent, dans cette perspective, une hypothèse acceptable : ce sont des démocrates et l'écologie doit être la première de nos priorités. Mais leur progression va galvaniser les Républicains qui voient, non sans raison, une formation plus à gauche que le PS derrière le masque écologiste. Enfin, un autre élément existe qui ne joue pas en faveur de la REM : la guerre des oppositions contre le pouvoir exclut la possibilité d'un rapprochement entre la REM et LR. La droite s'est enfermée dans un conflit avec M. Macron et ne saurait passer un compromis avec lui ni se désister. Après avoir dénoncé à cor et à cri la « confiscation » des rendez-vous électoraux par la REM et par le RN, on la voit mal apporter ses voix à la macronie. Cela signifie seulement que, pour empêcher un matche RN-REM, elle en aura facilité un autre, par exemple entre EELV et l'extrême droite. Et même couru le risque de faire élire Marine Le Pen présidente.