« L’obésité est une véritable maladie, complexe et multifactorielle », martèle le Dr Guillaume Pourcher responsable du Centre chirurgical de l’obésité à l’Institut mutualiste Montsouris. Cette maladie est encore taboue, stigmatisante et méprisée dans nos sociétés modernes. « Ce n’est pas de la faute du patient, qui doit être déculpabilisé. »
À l'occasion de la Journée européenne du 21 au 22 mai et à la suite du congrès européen sur l’obésité, qui s’est tenu du 10 au 13 mai dernier, professionnels de santé et patients ont souhaité apporter un nouveau regard sur cette pathologie, lors d’une table ronde organisée par la Fondation de l’Académie de chirurgie.
Le Dr Séverine Ledoux, endocrinologue du Centre de l’obésité de l’hôpital Louis-Mourier, rappelle que la prévalence de l’obésité a augmenté ces dernières années, jusqu’à 16-17 % en France (1,2) et incrimine des changements environnementaux, même si une susceptibilité polygénique existe. « Les causes de l’obésité́ sont intriquées et différentes chez chaque personne. On devrait plutôt parler “des obésités” au pluriel », et c’est bien cela qui complique la prise en charge.
Retrouver le plaisir de manger
Obésité d’origine médicamenteuse, génétique, liée à une pathologie hormonale, ou encore à une tumeur ou un traumatisme hypothalamique… l’identification d’une cause unique et curable reste cependant exceptionnelle. Le Dr Ledoux insiste : la prise en charge médicale repose essentiellement sur les mesures hygiéno-diététiques, et certains médicaments comme les analogues du GLP-1 apparaissent prometteurs pour s’ajouter à l’arsenal thérapeutique.
Il faudra éviter de tomber dans le piège des régimes restrictifs et déséquilibrés, qui sont décevants et source de rebonds pondéraux : « Les études retrouvent que tout type de régime ne conduit qu’à une perte de -2/3 kg en un an (3) . Il est difficile de perdre du poids une fois l’obésité́ installée. Cela n’a rien à voir avec la volonté, il ne faut pas sous-estimer la puissance des facteurs biologiques de maintien du poids », complète-t-elle.
La prise en charge doit être personnalisée, englobant tous les aspects (médicaux, psychologiques, diététiques, sociaux, activité physique…) et le patient rester le principal acteur. « Il faut proposer des mesures au long terme réellement applicables, avec des objectifs raisonnables. Le patient doit retrouver le plaisir de manger et s’appuyer sur ses sensations de faim et de satiété. »
La chirurgie n'est pas une solution magique
« Intégrer la composante émotionnelle de l’alimentation », c’est aussi le mot d’ordre du Dr Marc Grohens, psychiatre addictologue : « Le patient obèse ne mange pas mal mais a des difficultés dans son mode de vie et face à son environnement. » La notion de perte de contrôle est primordiale : « Les troubles du comportement alimentaire présentent un craving, comme dans les addictions : le patient continue même s’il sait que ce n’est pas bon pour lui. » « Il faut réapprendre à manger en bonne conscience », conclut-il.
La chirurgie bariatrique sera réservée aux formes les plus sévères (IMC > 40 kg/m2 ou > 35 kg/m2 associé a une comorbidité) si le traitement médical s’avère insuffisant. « Ce n'est qu'un des outils dans le parcours du patient et ne doit pas s’envisager comme un échec ou une solution magique », rappelle le Dr Ledoux. Elle nécessite une préparation pluridisciplinaire d’au moins 6 mois et un accompagnement au long cours, car le risque de reprise pondérale est réel si les autres déterminants ne sont pas contrôlés.
Le Pr Robert Caiazzo, spécialisé en chirurgie l’obésité au CHU de Lille, rappelle que la chirurgie bariatrique permet un amaigrissement prolongé dans le temps, après une reprise pondérale initiale. Quatre chirurgies sont validées à ce jour : la sleeve gastrectomie est la technique chirurgicale la plus réalisée, devant le gastric bypass et l’anneau gastrique, cette dernière étant en perte de vitesse ; la diversion avec duodénal switch reste rare en France. Il insiste : « La mortalité post-opératoire est désormais inférieure à 1/1 000 », grâce à l’amélioration de la prise en charge.
L'écueil des perdus de vue
« En 2021, le principal problème de la chirurgie de l’obésité́ n’est plus la mortalité mais les perdus de vue : jusqu’à 50 % à 2 ans ! Ce qui entraîne des risques de carences nutritionnelles et des séquelles secondaires parfois sévères », explique le Dr David Lechaux, chirurgien à l’hôpital privé des Côtes-d’Armor. Il évoque la solution digitale Ebaros dont il est responsable : ce programme, géré quasi exclusivement par le patient lui-même, associe télémédecine, objets connectés et systèmes d’alerte multiples. Il retrouve une amélioration de la qualité de vie avec une diminution des perdus de vue (19 % à 5 ans).
Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des Associations d’obèses conclut avec les chiffres macabres du Covid-19 : « 47 % des patients infectés hospitalisés en réanimation sont obèses et l’obésité concerne 40 % des personnes décédées. Avec le Covid, l’obésité est désormais associée à 19 pathologies. » Elle demande que l’obésité soit enfin reconnue comme maladie chronique en France et appelle le gouvernement à adopter un plan décennal contre cette pathologie.
(1) Matta J et al, Bull Epidémiol Hebd. 2016
(2) Verdot C, et al, Bull Epidémiol Hebd. 2017
(3) Dansinger ML, et al, JAMA. 2005. doi: 10.1001/jama.293.1.43.