Les modifications du mode de vie, en particulier de l’alimentation, sont la pierre angulaire de toutes les recommandations de prise en charge du diabète de type 2 (DT2). Ce qui n’est pas si simple. En réalité, les praticiens se disent désarmés et passent directement aux médicaments oraux, puis à l’insuline, à doses croissantes avec la déchéance progressive des cellules-béta et la résistance à l’insuline ; avec comme corollaire la prise de poids. Pourtant, une perte de poids de 5 % du poids initial suffirait à améliorer grandement les glycémies en cas d’obésité modérée.
Difficiles à mettre en œuvre en pratique, les diététiques recommandées pour maigrir restent assez contradictoires et intenables à long terme pour les patients, qui baissent souvent les bras ou se tournent vers des gourous ou charlatans, proposant des régimes étranges… non sans dangers et pas réalisables dans la durée.
Les recommandations sérieuses préconisent une réduction des graisses et des sucres raffinés. Cependant elles n’abordent pas ou peu la question de la répartition des prises alimentaires sur la journée. Souvent, en cas de DT2 insulinotraité, il est proposé trois repas assez égaux en glucides et calories et trois petites collations (reg-6R). Une étude remarquable vient balayer ce dogme (1). Un régime isocalorique à trois repas (reg-3R) comportant un petit-déjeuner riche en glucides et en énergie pourrait permettre de réduire les doses d’insuline et le poids corporel. À la clé, la régulation des gènes d’horloge : on parle de chrononutrition.
Très gros petit déjeuner versus prises réparties sur la journée
Vingt-huit volontaires diabétiques (IMC 32,4 ± 5,2 kg/m2 et HbA1c 8,1 ± 1,1 %) ont été assignés au hasard à un régime trois ou six repas (1). Leur poids, contrôle glycémique (HbA1c et mesure continue du glucose [MCG]), appétit et expression des gènes horloge, ont été évalués à T0, puis après 2 et 12 semaines.
Les deux régimes 3R et 6R étaient isocaloriques à – 500 kCal, avec maintien des activités physiques habituelles. Ils répartissaient les prises comme suit (voir fig.) :
− reg-3R. Apport énergétique de 47, 40 et 13 % matin, midi et soir ; apports en hydrates de carbone de 50, 40, 10 % à ces repas.
− reg-6R. Apport énergétique de 20, 25 et 25 % matin, midi et soir, et 23 % des hydrates de carbone à chaque repas. Trois en-cas entre les repas à 10 % d’énergie et 10 % d’hydrates de carbone chacun.
Résultat, après 12 semaines, seul le reg-3R a entraîné une perte de poids (- 5,4 ± 0,9 kg) et une diminution de l’HbA1c (-1,2 %) et du temps passé en hyperglycémie. La glycémie à jeun et la glycémie moyenne diurne et nocturne ont également été significativement plus basses avec ce régime 3R. Quant à la dose quotidienne totale d’insuline, elle était significativement et spectaculairement réduite avec ce régime (et pas avec le 6R), de 26 ± 7 U/J. Il a également été constaté une diminution significative de la faim et des fringales dans le groupe reg-3R. La mesure des gènes de chrononutrition révèle des oscillations plus marquées (plus physiologiques) et une plus grande expression sous reg-3R que sous reg-6R.
Au total, un régime 3R, contrairement à un régime isocalorique à six repas, entraîne une perte de poids, une réduction significative de l’HbA1c, de l’appétit et de toutes les glycémies, une diminution des besoins quotidiens en insuline et une régulation positive des gènes d’horloge.
Des résultats spectaculaires qui devraient faire évoluer les prises en charge
Ces résultats pondéraux, glycémiques et sur les besoins en insuline sont tout simplement spectaculaires : seul l’ajout d’un agoniste des récepteurs au GLP1 peut permettre d’obtenir, parfois, l’équivalent, mais seulement chez les sujets répondeurs, et pour quelle dépense de santé ! Un autre aspect crucial est qu’un tel mode alimentaire est tenable à long terme, à l’inverse de bien des régimes extrêmes, comme les « very-low-carb » qui rendent l’alimentation très singulière, ne permettant pas au patient diabétique de partager ses repas avec son entourage et, soit dit en passant, guère réalisables à long terme.
L’adage de bon sens des temps anciens qui voudrait que l’on mange « comme un roi le matin, qu’on déjeune comme un prince à midi et dîne comme un mendiant » est ici étayé par une étude sur la fonctionnalité et l’expression des gènes d’horloge, très démonstrative, qui vient compléter d’autres données récentes tout autant éclairantes.
L’organisme humain est programmé pour des prises alimentaires et activités diurnes, un sommeil et jeûne nocturnes. La plupart des processus métaboliques impliqués dans le contrôle glycémique (fonction des cellules-β, utilisation musculaire et production hépatique de glucose) présentent des variations selon la période de la journée, qui sont contrôlées par une horloge circadienne endogène. Cette horloge moléculaire se trouve dans l’hypothalamus (noyau supra-chiasmatique) et s’avère être synchronisée par la lumière. Des horloges similaires se trouvent dans les tissus périphériques tels que les muscles, le foie, les cellules-β, cellules-α, le tissu adipeux etc., et sont contrôlés par une horloge hypothalamique et par la disponibilité en nourriture. Certes, des travaux menés chez des obèses non-diabétiques n’ont pas montré de tels bénéfices pondéraux précédemment, mais ceux de cette équipe sont tous concordants et très étayés.
Les multiples recommandations nationales et internationales feraient bien de prendre en considération ces données de chrononutrition plutôt que de se contenter de rappeler que tout diabétique doit revoir de façon rigoureuse son hygiène alimentaire. Une phrase d’autant plus creuse qu’elles s’attachent en réalité à déployer la stratégie médicamenteuse antidiabétique ! Un peu comme les messages, après chaque publicité pour un produit alcoolisé « À consommer avec modération » : on sait l’efficacité de tels rappels ! Le « tout médicament » est, ici, efficacement remis en cause et par une approche hautement scientifique.
Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes
(1) Jakubowicz D et al. Reduction in glycated hemoglobin and daily insulin dose alongside circadian clock upregulation in patients with type 2 diabetes consuming a three-meal diet: a randomized clinical trial. Diabetes Care. 2019 Dec;42(12):2171-80