Tout commence à Berlin en 1935. Varian Fry assiste à une terrible manifestation d'antisémitisme. Une foule s'est massée sur le Kurfürstendamm et certains sortent de leur voiture avec brutalité ceux qui sont censés avoir un « faciès juif » et les traînent par terre. Dans une taverne, un paramilitaire cloue sur le comptoir la main d'un présumé juif, dans l'indifférence générale.
De retour aux États-Unis, soutenu par sa femme Eileen, Varian Fry prend la mesure du danger encouru par la communauté juive en Allemagne, alors que débutent les autodafés. Puis ce sera l'avance vertigineuse des troupes allemandes, qui avalent successivement le Danemark et la Norvège, la Hollande, la Belgique, et, le 14 juin 1940, à 5 h 30 du matin, entrent dans Paris. Le 22 juin, le maréchal Pétain signe l'armistice, qui prévoit entre autres que le gouvernement français est tenu de « livrer sur demande tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich »…
Varian Fry a du mal à mobiliser en faveur des réfugiés. Roosevelt ne veut accepter que les juifs célèbres dans le monde de la pensée ou des arts. Même s'il peut avoir mauvaise conscience d'avoir refusé en juin 1939 le « Saint-Louis », paquebot transportant 900 juifs allemands qui sera contraint de revenir à Hambourg, condamnant la plupart à mourir dans les camps.
C'est très progressivement que va se constituer l'association de secours d'urgence (Emergency Rescue Committee) et que l'on parvient à lever des fonds (une collecte a permis de réunir 3000 dollars) pour faire sortir d'Allemagne les hommes et les femmes menacés, un projet dont le but et le sens ne convainquent pas tout de suite. Mais la liste de Varian Fry, installé à Marseille pour piloter l'opération, fait le plein de célébrités, venues d'horizons très divers : Albert Einstein, le romancier Lion Feuchtwanger, les peintres Max Ernst et Hans Bellmer, la philosophe Hannah Arendt, Alma Mahler et son mari Franz Werfel.
Beaucoup de célébrités, juives ou non, militaires ou civils, sont d'abord réticentes à quitter la France. C'est le cas de Matisse et Chagall, qui minimisent le danger. L'un des intérêts du travail de Bernadette Costa-Prades réside dans les nombreux cas particuliers qu'elle évoque de manière très vivace.
En décembre 1942, Varian Fry sera l'un des premiers Américains à alerter sur la Shoah. Dans un article de « The New Republic », il parle de « la tuerie la plus effroyable de toute l'histoire de l'humanité ». Infatigable, en 1964, il lève des fonds pour secourir l'Angola et ceux qu'il avait aidés, et d'autres, répondent à l'appel, Max Ernst, Miro, Giacometti, Kokoschka, Picasso. En 1996, un an après Oskar Schindler, Varian Fry est déclaré Juste parmi les nations par Israël. Un arbre est planté à sa mémoire près du Yad Vashem Museum à Jérusalem.
Bernadette Costa-Prades, « La Liste de Varian Fry - août 1940-septembre 1941 », Albin Michel, 224 p., 19 €