Alors que la stéatose hépatique non alcoolique augmente silencieusement avec l'épidémie d'obésité dans le monde, comment repérer les sujets à risque de complications ? « Nos résultats offrent la possibilité de développer un test non invasif précis reposant sur le microbiote fécal afin d’identifier les patients à risque élevé de développer une cirrhose. Il est urgent de créer cet outil diagnostique », propose le Dr Rohit Loomba, gastroentérologue et directeur du centre de recherche sur la stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD) à l'Université californienne de San Diego, principal auteur d'une étude publiée dans la revue « Cell Metabolism ».
La stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD pour non-alcoholic fatty liver disease), caracterisée par une accumulation de graisse dans le foie, est une affection de plus en plus fréquente (15 à 24 % de la population), étant principalement liée au syndrome métabolique (obésité et diabète de type 2). Si elle reste bénigne dans la majorité des cas, cette maladie peut évoluer silencieusement dans 10 à 20 % des cas vers la stéato-hépatite non alcoolique (NASH), un stade inflammatoire avec nécrose. La NASH peut ensuite progresser vers une fibrose et la cirrhose, avec un risque accru ultérieur de cancer hépatique, d’insuffisance hépatique et de décès.
Signatures de bactéries et de métabolites
Plusieurs études ont révélé un lien entre la NAFLD et un déséquilibre du microbiote intestinal. De plus, l’équipe du Pr Loomba avait entrevu dans de précédentes études de possibles signatures du microbiote qui pourraient distinguer les différentes phases d’évolution vers la cirrhose.
Dans la nouvelle étude, l’équipe a comparé les microbiotes fécaux de 163 participants bien caractérisés, incluant 27 patients ayant une cirrhose liée à la NAFLD (11 avec cirrhose décompensée), 82 membres de leur famille (51 non-NAFLD, 21 NAFLD sans fibrose, 3 avec NAFLD-fibrose, 7 avec cirrhose-NAFLD), et 54 témoins sans maladie hépatique.
En étudiant les profils métagénomiques et métaboliques avec l’aide d’un algorithme d'apprentissage automatique, ils ont pu identifier une signature microbienne et une signature de métabolites dans les selles, qui sont capables de détecter une cirrhose (précision diagnostique 0,91, AUC).
Une signature universelle
Lorsque cette signature microbienne (ou métagénomique) fécale est combinée à l'âge et au taux d'albumine sérique (protéine produite dans le foie), il est possible de différencier avec précision la cirrhose au stade précoce de la fibrose. Ceci, quelles que soient l’étiologie de la cirrhose et l’origine génétique ou géographique des patients. Les chercheurs ont non seulement validé les signatures du microbiote intestinal de la cirrhose dans la cohorte des membres familiaux des participants, mais aussi dans des cohortes de participants chinois (123 avec cirrhose, 114 témoins) et italiens (46 avec cirrhose, 14 témoins). « Ces résultats démontrent qu’un groupe essentiel d'espèces bactériennes au sein du microbiote intestinal pourrait offrir un test diagnostique non invasif de la cirrhose, d’utilité universelle », concluent les auteurs.
« C’est l'une des premières études à montrer qu'une signature développée aux États-Unis ou dans une cohorte occidentale pour une maladie chronique telle que la cirrhose peut fonctionner dans une cohorte diversifiée sur le plan bio-géo-ethnique, chez des patients chinois atteints de cirrhose. Il s'agit d'une découverte majeure et c'est pourquoi nous pensons que cette étude est d'une grande importance clinique », confie au « Quotidien » le Pr Loomba. « Nous travaillons sur des études pour prédire longitudinalement quels patients développeront une cirrhose dans le futur », laisse-t-il entrevoir.
Les prochains objectifs de l’équipe : établir si les espèces microbiennes intestinales (ou leurs métabolites) de la signature sont liées de façon causale à la cirrhose. Et déterminer si ce test fécal diagnostique pourrait être développé à des fins cliniques, ce qui pourrait être accompli dans les cinq prochaines années, espère le Pr Loomba.
T. G. Oh et al., Cell Metabolism, 10.1016/j.cmet.2020.06.005 , 2020