Assez loin des problèmes de bioéthique que vont débattre les États généraux de Jean Leonetti, les généralistes sont en permanence confrontés à des choix éthiques. Attention, disent les experts, cela parfois déboucher sur le burn out !
« Les progrès rapides et importants de la science dans les domaines de la génétique et de la procréation posent à nos sociétés de délicates questions de bioéthique. Elles engagent notre conception de l’homme et de la vie, et peuvent conduire à des mutations de société. C’est pourquoi elles ne peuvent pas rester l’affaire des seuls experts. La responsabilité du politique est d’organiser le cadre propre à cette réflexion. C’est ce que la France fera avec les États généraux de la bioéthique qui se dérouleront l’an prochain. » Ainsi le président de la république, Nicolas Sarkozy, annonçait-il, le 12 septembre 2008, les travaux de réflexion préparatoires à la révision des lois de bioéthique dont s’est dotée la France en 2004. Et le 4 février dernier, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a officiellement lancé cette « réflexion collective et citoyenne » organisée selon plusieurs temps forts (voir encadré).
Ainsi, jusqu’à l’été, la collectivité va débattre de la recherche sur les cellules souches et sur l’embryon, du diagnostic prénatal et du diagnostic préimplantatoire, de l’assistance médicale à la procréation, des prélèvements et greffes d’organes, de la médecine prédictive, avant que la représentation nationale ne vote les modifications législatives qui s’imposeront au cours du débat. Qui trouverait à redire à ce processus collectif ? Ca et là, des médecins y participeront et apporteront leur point de vue de professionnel et de citoyen.
Mais lorsque, dans le secret de son cabinet et du « colloque singulier », un médecin généraliste doit décider de prescrire ce traitement plutôt qu’un autre, ou du placement d’un patient âgé, qui ne le souhaite pas mais que désire sa famille ; quand il doit protéger le conjoint d’un séropositif qui ne veut pas révéler son état, quand ce secret sur une séropositivité menace d’outre tombe une compagne survivante ; quand il s’agit de mentir sur le suicide d’un père de famille pour que sa femme et ses enfants puissent hériter de quoi vivre… face à tous ces « cas de conscience » qui constituent son lot quasiment quotidien, le médecin généraliste est seul, très seul. « La bioéthique ne nous interpelle pas trop, nous y sommes peu confrontés au quotidien, analyse le Dr Yves Léopold, médecin généraliste et membre du Conseil départemental de l’ordre des médecins du Vaucluse. En revanche nous sommes placés en permanence face au « dilemme éthique », comme disent nos confrères canadiens. Les généralistes sont confrontés sans arrêt à l’éthique mais sans y penser en tant que tel. Les CAPI posent un problème éthique que les médecins généralistes ne perçoivent pas forcément. C’est ce déchirement inévitable et répétitif entre la conviction intime et les obligations réglementaires, légales, déontologiques, administratives. C’est la distance entre l’attitude idéale et le « possible ». L’éthique est un grand mot un peu abstrait, mais qui recouvre en réalité des problèmes extrêmement concrets auxquels la déontologie médicale n’apporte pas toujours une réponse. Les gens ont d’ailleurs souvent des difficultés à distinguer ces deux notions. La déontologie a des textes, elle est codifiée, tandis que l’éthique est une chose très personnelle. J’avoue d’ailleurs être un peu surpris par la création de « comités d’éthique », les deux choses étant pour moi contradictoires. »
Pour François Baumann, généraliste, fondateur de la SFTG et auteur du livre « Le cas de conscience du médecin généraliste. L’éthique médicale au quotidien » (1), l’influence anglo-saxonne sur nos systèmes européens de santé qui se traduit par une volonté de « transparence à tout crin » redouble les dilemmes éthiques pour le médecin « pris entre l’obligation de secret et cette volonté de transparence due à des objectifs très louables d’évaluation, de santé publique, mais qui ont tendance à remettre en question ces notions de secret, de confidentialité. »
« L’évolution actuelle dans laquelle on parle de plus en plus de qualité des soins et d’économie de santé accentue la tension sur les décisions de médecins, explique le Dr Eric Galam, généraliste, maître de conférence à Paris VII, et médecin coordinateur de l’Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux, qui a ouvert une ligne d’écoute anonyme et gratuite (0826 004 580) pour les médecins victimes de burn out (Le Généraliste n° 2417). On demande tout aux médecins : d’être efficaces, compétents, mais aussi économes, sympathiques, à l’écoute, etc. Cette complexité est nécessaire à la qualité, sauf qu’on ne donne pas aux médecins les moyens de cette complexité, à savoir le temps qu’elle suppose. Ou je m’interroge, je doute, je questionne, et je sombre dans le burn out, ou je m’assieds sur l’éthique, et j’en souffre, car exercer ce métier sans éthique, c’est une souffrance pour le soignant. » Le temps… Yves Léopold aussi aborde le sujet : « D’un point de vue de l’éthique, je devrais passer x heures avec une patiente ménopausée pour lui délivrer une information complète sur les TSH ! Le malade a son libre arbitre, mais l’influence du médecin sur le choix d’un patient est énorme. Or, le plus souvent, faute de temps, c’est l’information parcellaire que je donne au patient qui va orienter son choix. »
Pour Yves Léopold, ce dilemme éthique permanent auquel est confronté le médecin est une des causes fondamentales du burn out des médecins. « L’éthique, c’est une interrogation permanente, sans réponse universelle, sans réponse rassurante, qu’on fuit inconsciemment dans notre exercice quotidien, mais qui est dans tout : prescrire tel examen ou pas, tel traitement ou pas… C’est le fondement de la souffrance des soignants, auquel s’ajoute cette blessure narcissique permamente : nous sommes toujours face à l’échec de la mort. »
Le lien entre burn out et éthique, François Baumann l’établit avec certitude. Mais pour lui, la parade est évidente : « La réflexion sur l’éthique, y compris avec d’autres disciplines, protège le médecin du burn out ». C’est cette conviction qui l’avait fait créer, il y a quelques années, le GREMQ (Groupe de réflexion sur l’éthique médicale au quotidien) au sein du département des Sciences humaines de la SFTG. Ce qui ne signifie pas que l’éthique puisse être mise en règles valables pour tous : « La réflexion éthique ne peut naître que dans la conscience de l’individu qui s’en préoccupe, estime François Baumann. Aucun maître, aucun « éthicien », personne au monde qui puisse aboutir à la « bonne » décision pour celui ou celle qui s’interroge. »
Si Yves Leopold partage tout à fait cet avis, il pense que les « superviseurs » qu’ont instaurés les canadiens seraient une bonne chose. « Avoir des superviseurs, c’est une façon de prendre en compte la souffrance et le dilemme éthique des médecins. Il ne s’agit pas de prendre les décisions à leur place mais de les aider, de les soutenir dans leur prise de décision. Il existe des superviseurs dans certains services hospitaliers en France, et je pense que nous devrions réfléchir à cette solution. »