Les arbustes du genre Ficus appartiennent à la famille des Moracées, de l’ordre des Rosales. Elle comporte plus de 1400 espèces et une quarantaine de genres, dont les plus communs sont Ficus et Dorstenia (ce dernier comporte un très grand nombre de plantes succulentes, surtout présentes dans les régions subtropicales et tropicales. Certaines d’entre elles, comme Dorstenia prorepens, sont des plantes médicinales). Les ficus se présentent de façon variable comme des arbres, des arbustes, des lianes ou même des plantes herbacées. Les Ficus benjamina sont des arbustes très décoratifs, communsdans les appartements, les bureaux, les magasins et même de nombreux lieux publics.
Une allergie découverte il y a 30 ans chez des jardiniers
L’allergie IgE-dépendante au Ficus benjamina (angl. : weeping fig) est connue depuis une trentaine d’années. La première publication, due à Axelsson et al. (1), concernait deux jardiniers atteints de rhinite et d’asthme qui travaillaient au contact de ficus. Les mêmes auteurs rapportaient aussi une étude portant sur 60 jardiniers exposés aux ficus et 24 employés moins exposés : une sensibilisation documentée par les prick tests (PT) et par les dosages d’IgE sériques spécifiques (IgEs) par la méthode du Rast (radio allergo sorbent test) était présente chez 27 % (n=16) chez les jardiniers exposés et seulement 8 % (n=2) chez les employés moins exposés, soit une différence significative (1). Tous les individus sensibilisés avaient des symptômes de rhinite et/ou de conjonctivite, et 6 avaient un asthme (1).
Peu après, les mêmes auteurs ont recherché si les individus non exposés professionnellement au F. benjamina pouvaient être sensibilisés à cette plante. Pour cela ils recherchèrent la présence d’une sensibilisation (PT ou Rasts positifs) chez 395 patients admis consécutivement dans leur unité d’allergologie et 107 employés de bureau dont les locaux étaient abondamment décorés de ficus : 3,29 % (n=13) des patients et 2,80 % (n=3) des employés de bureau étaient sensibilisés au ficus (2). Tous avaient des symptômes d’asthme et/ou de rhinite, étaient atopiques, sensibilisés à un ou plusieurs des pneumallergènes usuels (2).
Une incidence de 6 % chez les personnes exposées
Pour Axelsson et al. (1), l’incidence de la sensibilisation au ficus chez les personnes exposées était évaluée à 6 %. Depuis ces deux publications princeps, le nombre des publications indexées sur PubMed est de 35, ce qui est relativement peu compte-tenu de la diffusion importante du Ficus spp. comme plante d’ornement. Il est possible que cette allergie soit méconnue, mais on peut aussi postuler que de nombreux cas n’ont pas été publiés – En Suède cette allergie est aussi fréquente que celle à une moisissures commune, Cladosporium herbarum (2).
Des allergènes 3 mètres autour de la plante dès le 15e jour
La présence d’un ficus dans un appartement expose à un risque de sensibilisation important. En effet, dans la poussière des tapis et des canapés de ces logements, les antigènes de F. benjamina (Atg. Fb) sont présents dans un rayon de 3 mètres autour de la plante (3). Ils sont significativement plus élevés (0,246 AU/g) que dans les poussières d’un sol dépourvu de moquette (taux indétectables) [p < 0,05]. Les allergènes de ficus sont détectables dès le 15e jour après le dépôt de la plante sur le sol moquetté, et encore plus élevés au 45e jour (3).
Les allergènes de F. benjamina sont surtout présents dans la sève de la plante. En 1990, Axelsson et al. (4) ont étudié par électrophorèse sur gel de polyacrylamide les sérums de 11 jardiniers exposés aux ficus avec Rast positif. Trois protéines de poids moléculaire (PM) 25, 28 et 29 kilodaltons (kDa) semblent être les allergènes majeurs, car se fixant aux IgE de plus de 50 % des individus. Ils sont inactivés par la chaleur à 60-90°C (4). Ces allergènes sont présents sur les feuilles des ficus aussi bien le F. benjamina que de nombreuses espèces voisines, d’où l’existence de nombreuses sensibilisations/allergies croisées (5). Le potentiel allergisant de ces plantes très feuillues est associé à l’importante surface d’exposition cumulée qu’elles représentent (5).
Réactions croisées avec la figue et d’autres
Contrairement aux études princeps d’Axelsson et al (2), une autre étude fournit des chiffres de prévalence un peu plus bas. La prévalence des sensibilisations au F. benjamina est relativement faible. Dix d’entre eux avaient une sensibilisation isolée au ficus. Pour Hemmer et al. (6), dans une population assez sélectionnée comme les atopiques (sensibilisés à un ou plusieurs pneumallergènes), les PT à F. benjamina étaient positifs 66 fois (2,5 %) parmi 2662 patients. Les auteurs ont également évalué la fréquence des sensibilisations aux fruits chez les sujets positifs pour F. benjamina : figue fraîche (83 %), figue sèche (37 %), kiwi (28 %), papaye (22 %), avocat (19 %), banane (15 %), ananas (10 %) [6. Certains sujets uniquement sensibilisés au F. benjamina sont également sensibilisés aux fruits en dehors de toute sensibilisation à H. brasiliensis, ce qui justifie l’individualisation du « syndrome ficus-fruits » médiée par des thiolprotéases (6). D’autres auteurs ont montré cette réactivité croisée entre le latex de F. benjamina, la figue et la papaïne (7).
Rhinite, conjonctivite et asthme…
Les symptômes de l’allergie au F. benjamina sont surtout la conjonctivite, la rhinite et l’asthme. Il s’agit d’une allergie per-annuelle qui survient aussi bien chez les individus atopiques que chez les non atopiques. Plusieurs auteurs ont observé une fréquence élevée de sensibilisations au F. benjamina chez les patients atteints de rhinite allergique (8, 9). Dans la série de 59 patients atteints de rhinite allergique comparés à 15 témoins, 78% des patients avaient une sensibilisation à des plantes d’ornement (ficus, yucca, lierre, palmier) alors qu’aucun témoin n’était sensibilisé. Des symptômes cutanés (urticaire de contact) et muqueux ont été rapportés (10).
Des formes graves sont possibles
En dehors de ces symptômes légers à modérés, des formes graves et/ou insolites ont été décrites (11,12). Le simple contact avec les feuilles d’un ficus placé dans une pièce peut entraîner une urticaire de contact, une dyspnée aiguë et un œdème de Quincke (11)
Diez-Gomez (7) ont rapporté le cas d’une femme de 36 ans, allergique au pollen d’olivier, qui développa immédiatement une conjonctivite et une crise d’asthme en prenant soin de son ficus, ainsi qu’une dermite des mains lorsqu’elle touchait ses feuilles. Elle avait une allergie croisée « figue-kiwi-papaïne-ficus », mais elle n’était pas sensibilisée à la sève d’Hevea brasiliensis.
Dans l’observation de Werfel et coll. (12), les symptômes étaient ceux d’une allergie grave : une patiente âgée de 32 ans souffrant de rhino-conjonctivite persistante possédait un ficus de 2 mètres de haut ! Elle décida de nettoyer ses feuilles, ce qui impliquait un contact étroit et prolongé avec l’arbre : elle développa une anaphylaxie.
Pradalier et coll. (13) ont décrit le cas d’une mère qui développa une rhino-conjonctivite aiguë par allergie à un ficus placé dans la salle de séjour : elle avait quitté sa chambre pour aller dormir sur un canapé placé à côté du ficus !
Un cas très singulier a été décrit par Sesztak-Greinecker et coll. (14) : une allergie au ficus par procuration. Une patiente qui possédait un caméléon développait des symptômes d’allergie cutanés lorsqu’elle s’occupait de son « animal de compagnie ». En fait, elle n’était pas allergique au caméléon mais aux allergènes de ficus, que cet animal avait sur ses griffes car il vivait sur le ficus ! (13).